Compte-rendu du XIIe Congrès international des hauts responsables des questions de sécurité
par Sébastien Périmony
Du 23 au 25 avril 2024 s’est déroulé à Saint-Pétersbourg (Russie) le XIIe Congrès des hauts responsables de la sécurité, auquel était invitée à participer une délégation française composée d’Ali Rastbeen, directeur de l’Académie de géopolitique ( Discours en Annexe 3), du journaliste et écrivain Pierre Lorrain (Intervention en Annexe 4) et de moi-même, représentant l’Institut Schiller en France. Ce congrès était organisé par le président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Nikolaï Patrouchev, qui a donné le ton de ces deux jours de discussion. Dans son discours inaugural, il a évoqué d’emblée l’urgence de la situation internationale en matière de sécurité, tout en se réjouissant de la participation d’officiels de haut rang de 106 pays, ce qui, a-t-il ajouté, montre l’intérêt que suscite l’émergence d’un monde multipolaire, fondé non plus sur des règles, ni sur le dollar, mais sur le droit international.
Il a évidemment évoqué les tensions accrues générées par cette transition vers ce monde multipolaire, mettant en cause certains États qui veulent préserver leur hégémonie à tout prix, dévalorisant le droit international et faisant des Nations unies un système en perte de vitesse.
S’exprimant par visio-conférence, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a alors pris la parole pour nous rappeler qu’« il ne fait aucun doute que le terrorisme international reste l’une des menaces les plus graves du XXIe siècle. Les attentats terroristes perpétrés dans diverses régions ne sont pas uniquement le fait de groupes radicaux, mais impliquent également les services de renseignement de certaines nations » (voir discours complet en Annexe 1). On pense immédiatement à l’horrible attentat perpétré le 22 mars au Crocus City Hall, près de Moscou, tuant 143 personnes et en blessant des dizaines d’autres.
Il a toutefois conclu en déclarant : « Je tiens à le répéter : la Russie est prête à collaborer étroitement avec tous les partenaires intéressés afin de préserver la sécurité mondiale et régionale et d’établir un nouvel ordre international multipolaire conforme aux intérêts de la majorité des nations. »
Il y avait donc 106 pays représentés, dont plus d’une quarantaine ont pu s’exprimer dès le premier jour (sur 52 prévus) sur le thème « Assurer la sécurité de l’information dans le monde polycentrique émergent : menaces et opportunités ». Avant cela, un clip vidéo (voir transcription complète en annexe 2) a fait le bilan de la guerre cybernétique en cours, dont voici l’introduction : « Nous vivons à l’ère d’une quatrième révolution technologique qui va fournir à l’humanité de nouvelles opportunités qu’elle n’avait pas auparavant. Les communications modernes et les technologies de communication de masse, l’internet des données, l’intelligence artificielle, le cloud, la blockchain, le big data, le e-gouvernement, la médecine digitale et les cryptomonnaies font déjà partie intégrante de notre quotidien. Mais malgré tous les avantages indéniables de ces technologies, les technologies de l’information et de la communication posent aussi de nouvelles menaces. Des menaces pour la paix internationale, la sécurité et la stabilité du monde. Des menaces à la souveraineté et à l’intégrité territoriale des Etats. Ces technologies sont en effet devenues l’un des instruments d’interférence dans les affaires intérieures des pays. A travers les réseaux sociaux, des pirates incitent à l’inimitié interethnique, interraciale et interreligieuse, faisant la promotion du terrorisme et de la xénophobie. Ainsi les soi-disant Révolutions de couleur, ainsi que les tentatives de détériorer l’environnement social et politique en provoquant des manifestations en Biélorussie, en Iran, en Serbie, en Géorgie et en Ukraine, en sont les premiers exemples. Les actes criminels faisant appel aux technologies modernes entravent le renforcement de la paix et de la coopération entre les Etats, détruisant les cultures nationales et ruinant les valeurs spirituelles. La situation des affaires internationales dans le domaine des technologies de l’information et de la communication peut être caractérisée par une augmentation des conflits géopolitiques. »
Plus de 40 pays se sont ainsi exprimés sur cette question, dont la Serbie, la Chine, l’Inde, l’Iran, le Vietnam, le Brésil, l’Égypte, l’Organisation de Coopération de Shanghai, l’Algérie, l’Angola, etc.
Relevons toutefois quelques prises de paroles intéressantes, comme celle du représentant serbe, qui a ouvert le bal en évoquant la guerre hybride et culturelle menée contre la jeunesse occidentale et d’ailleurs, via les réseaux sociaux Instagram et Facebook. Il a évoqué les troubles psychologiques qui touchent de nombreux jeunes dans le monde du fait de ces addictions et de la propagande diffusés sur ces réseaux sociaux.
La Chine a réitéré son engagement contre l’unipolarité et la loi du plus fort, relevant que ce qui gouverne le monde aujourd’hui, c’est le développement du Sud global. Elle a également mis en garde contre la militarisation du cyberespace, rappelant que le président chinois Xi Jinping avait proposé en avril 2022 une Initiative pour la sécurité mondiale (ISM), visant à ouvrir une nouvelle voie vers la sécurité, en préférant le dialogue à l’affrontement, le partenariat à l’alliance et l’esprit gagnant-gagnant au jeu à somme nulle.
Quant à l’Inde, elle a mentionné le « dark web » et les escroqueries sur internet, où existent d’importantes failles de sécurité qui affectent des millions de personnes dans le monde, et a présenté les mesures que le gouvernement indien mettait en place pour lutter contre ce fléau.
Le représentant du Conseil de sécurité de la République d’Iran s’est attaqué aux monopoles de l’internet contrôlés par les États-Unis : Windows, Android, Google, Microsoft, etc., pointant du doigt cette hégémonie. Pour protéger notre souveraineté, a-t-il affirmé, nous devons développer nos propres outils et logiciels.
Il est impossible de rendre compte ici de toutes les interventions, mais il faut toutefois mentionner celle de Serguei Glaziev, commissaire à l’Intégration et à la Macroéconomie au sein de la Commission économique eurasienne, l’organe exécutif de l’Union économique eurasienne. Il a insisté sur trois points, fondamentaux pour les membres de l’UEEA : abandonner le dollar, développer leur propre système de paiement et pourquoi pas, utiliser des monnaies numériques nationales sous contrôle des Etats et basées sur des biens physiques internationaux.
Mentionnons également L’Afrique du Sud, qui se révèle un acteur majeur dans la politique internationale de pacification et joue un rôle important pour dénoncer les atrocités qui ont cours actuellement en Palestine. La présidente du Conseil de sécurité sud-africain a déclaré que les BRICS, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) et l’Initiative une Ceinture une Route constituaient désormais le nouveau monde, en lieu et place de celui de l’après-guerre, dit de Bretton Woods. Elle a remarqué que bien que l’Occident tente de résister, il ne sait plus où donner de la tête et ce déplacement du monde vers le Sud entraîne un risque de conflit. Elle a également évoqué les guerres de l’information et la manipulation des consciences en Occident pour empêcher que cela soit compris. « Le Sud global, c’est l’avenir, a-t-elle conclu, c’est inévitable. »
Pour en finir avec la première journée, l’intervention la plus intéressante fut celle du représentant du Niger : « Le nouveau nom de l’impérialisme, c’est le terrorisme ! »
« L’ordre occidental est définitivement révolu », a-t-il déclaré d’emblée, expliquant que son pays, comme le Mali et le Burkina Faso, avait lancé des initiatives pour « se libérer du joug du néocolonialisme », et que la politique occidentale de financement et de soutien au terrorisme dans la région du Sahel, conduisant à déstabiliser certaines régions, était désormais comprise par ces pays. Toutes les révolutions qu’ils ont menées visent à reconquérir leur souveraineté contre les puissances étrangères qui « organisent le sous-développement, pillent les immenses richesses du sous-sol, créent la psychose au sein des populations par le sous-développement et portent atteinte au vivre-ensemble (…) Grâce à nos militaires et à nos jeunes, nous avons sauvé la population. (…) Nous avons sauvé in extremis nos États de leur disparition programmée par cette politique, avec la création, le 16 septembre 2023, de l’AES (Alliance des États du Sahel). » Aujourd’hui, grâce à l’armée et à la population, ils se sont enfin libérés et ont « brisé les chaînes du néocolonialisme », a-t-il conclu.
Lors de la deuxième journée consacrée au thème « Préserver l’identité nationale et les valeurs traditionnelles pour maintenir la sécurité, la paix et la stabilité internationales », j’ai eu l’occasion de présenter les solutions proposées par l’Institut Schiller.
Comme lors de la première journée, des dizaines de pays sont intervenus sur le thème annoncé, dont le modérateur a défini les éléments sous-jacents : la dictature de l’Occident contre les intérêts de la majorité des pays du monde, le déclin de l’unipolarité et le conflit des valeurs. Il a rappelé que la continuation de la politique coloniale occidentale avait pour but d’éliminer l’identité nationale des pays colonisés en promouvant des valeurs contraires à la nature humaine. Pour certains, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale sont ébranlés par ce nouvel ordre polycentrique et donnent le vertige à l’humanité en provoquant un nouveau risque de guerre mondiale, rappelant à ce titre les mots du pape François : « La guerre mondiale par morceaux est en train de se transformer en véritable conflit mondial. »
Parmi tous les sujets évoqués par les participants, certains revenaient plus souvent, tels que le danger de la légalisation de la drogue (voir notre rapport), la propagande chez les plus jeunes en faveur du changement de genre, la destruction des valeurs religieuses, etc.
Enfin, notre collègue Ali Rastbeen, directeur de l’Académie de géopolitique, a pu intervenir lors d’une table ronde sur le thème principal (voir discours en Annexe 3), et moi-même, dans une autre session sur le thème de « La coopération internationale pour lutter contre l’immigration illégale ».
Je conclurai ici avec le texte de mon intervention : ( Pour voir la vidéo, cliquez ici )
Discours de Sébastien Périmony, responsable du bureau Afrique de l’Institut Schiller
La paix par le développement
Bonjour à tous et merci de votre invitation,
Nous vivons un moment décisif de l’histoire humaine : soit l’Occident collectif, que j’appelle l’Occident destructeur, va plonger le monde dans une guerre de tous contre tous, soit on verra émerger un monde multipolaire, dédollarisé, comme l’a proposé hier l’économiste Serguei Glaviev, basé sur le développement mutuel et le dialogue des civilisations.
Comme l’avait dit l’économiste américain Lyndon LaRouche en 2004, nous vivons au chevet d’un empire condamné. Après des siècles de domination par la guerre et le chaos, le règne de l’Occident destructeur, impérialiste, malthusien, touche à sa fin et sa dernière option, c’est encore la guerre.
Selon le projet « Coût de la guerre » conçu par l’Institut Watson de l’Université Brown à Rhode Island, au cours des 20 années qui se sont écoulées entre le 11 septembre 2001 et 2021, les dépenses militaires américaines, y compris les coûts collatéraux, ont atteint 8000 milliards de dollars, consacrés à des campagnes militaires et antiterroristes dans 85 pays, sans compter les forces d’opérations spéciales américaines, les opérations de la CIA, les opérations de soutien à l’information militaire, ni les opérations de guerre psychologiques. Au cours de la même période, plus de 940 000 personnes ont été tuées par des violences de guerre directes en Irak, en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, en Lybie, etc. et le nombre de civils décédés de causes indirectes est nettement plus élevé. Si cette somme – 8000 milliards de dollars – avait été investie dans des programmes visant à lutter contre la pauvreté et le sous-développement, le monde serait aujourd’hui un jardin prospère et l’Occident serait célébré comme un ami de l’humanité. Ce n’est malheureusement pas encore le cas, mais, nous, l’Institut Schiller, nous nous battons en Europe pour changer cela.
Les principales causes de l’immigration au niveau mondial, ce sont les guerres de l’OTAN.
Mais voyons le monde avec les yeux du futur. L’Institut Schiller, dont la présidente est Mme Helga Zepp-LaRouche, a publié en 2014 un document exceptionnel intitulé La Nouvelle Route de la soie devient le Pont terrestre mondial, que vous voyez ici. Disponible en anglais, français, arabe et chinois, mais pas encore en russe, ce document présente un plan de développement mondial de l’économie physique de chaque continent.
Pour nous le problème n’est pas seulement l’immigration illicite, mais c’est l’émigration massive.
Après l’assassinat par l’Occident du chef de l’Etat lybien Mouammar Kadhafi, toute la région du Sahel a été déstabilisée et l’immigration s’est accrue massivement depuis, en provenance de cette région, et pourtant de vraies solutions existent. L’Institut Schiller soutient depuis les années 1980 le projet Transaqua que vous voyez ici. Sur les 11,3 millions de personnes qui ont besoin d’aide pour survivre dans le bassin du lac Tchad, au moins 3 millions sont déplacées, selon des sources officielles, forcées de fuir leur foyer en raison de la violence et du sous-développement. Le projet Transaqua consiste à revitaliser le lac Tchad, qui a perdu 90 % de sa superficie, en créant un canal depuis l’est du bassin de la République démocratique du Congo, à travers la République Centrafricaine. On pourrait ainsi créer un ensemble de zones irriguées pouvant atteindre 50 000 à 70 000 km², et des ressources en énergie hydroélectrique, qu’on peut estimer à 35 000 mégawatts, pourraient être engendrées tout le long de la « chute » vers le Tchad. Grâce à ces ressources, on pourrait construire des usines de transformation pour industrialiser la région, et les millions de personnes qui ont fui les abords du Lac pourraient alors revenir sur leurs terres et vivre de leur travail.
Pour l’Afrique de l’Ouest, nous avons soutenu le projet Africarail que vous voyez ici, un plan de développement d’un réseau ferroviaire pour toute la région qui permettra de développer les activités industrielles, car les richesses sont nombreuses. Grâce aux révolutions populaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et à l’élection récente au Sénégal, une nouvelle ère pourrait s’ouvrir, après près de 600 ans d’impérialisme et de néocolonialisme.
Il y a aussi le projet des lacs Faguibine au Mali, près de Tombouctou, qui a pour ambition d’irriguer jusqu’au 950 000 hectares de terres pour l’agriculture et de faire de cette région le grenier alimentaire de l’Afrique de l’Ouest, projet qu’avait commencé le président Kadhafi avant son assassinat.
Au Soudan et Sud-Soudan, on compte plus de sept millions de déplacés et plus d’un million de réfugiés, l’une des crises de déplacement les plus massives au monde. Là aussi il existe pourtant des solutions, avec le projet du canal de Jonglei (370 km de long), qui, en contournant les marais du Sudd entre Bor et Malakal, améliorerait considérablement la navigation. Avec la poldérisation du Sudd, le canal transformerait la région en vaste zone vivrière, le système fleuve-canal servant de voie de transport pour toute la région.
Enfin, dernier exemple en République démocratique du Congo, qui compte déjà 10 millions de morts depuis les années 1990 et des millions de déplacés. Là encore, on connaît la solution, avec le projet d’aménagement des Grands Lacs africains, « Sula ya amani » (« le visage de la paix », en swahili), proposé par le Comité de Soutien et de Plaidoyer pour la Région des Grands Lacs Africains (CSP-REGLA), visant à relier les grands lacs entre eux par des canaux et permettre le développement de cette région qui est l’une plus riches et des plus belles du monde.
Le véritable ennemi de l’Occident destructeur, c’est le développement de l’économie physique de chaque pays sur cette planète. Et c’est pour l’empêcher qu’il a dépensé plus de 8000 milliards ces 20 dernières années. Voilà la véritable cause de l’immigration massive.
Pour y mettre fin, il faut donc mettre en place le projet de Pont terrestre mondial proposé par l’Institut Schiller, dans le cadre d’une nouvelle architecture de sécurité et de développement mutuel. Mettre fin à la géopolitique, remplacer l’affrontement par la coopération, le choc des civilisations par le dialogue des civilisations, et lancer enfin cette politique de grands projets infrastructurels.
La paix par le développement !
Je vous remercie.
Annexe 1 : Discours complet de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie (traduction non officielle)
Chers collègues,
Bienvenue à Saint-Pétersbourg pour l’ouverture de la 12e réunion internationale des hauts responsables pour les questions de sécurité.
Au cours des séances plénières, des discussions et des tables rondes à venir, vous allez analyser le paysage mondial, discuter des principaux aspects de la stabilité mondiale et régionale et échanger des points de vue sur la façon d’améliorer les réponses aux défis contemporains les plus urgents et les plus périlleux.
Il ne fait aucun doute que le terrorisme international reste l’une des menaces les plus graves du XXIe siècle. Les attentats terroristes perpétrés dans diverses régions ne sont pas uniquement le fait de groupes radicaux, mais impliquent également les services de renseignement de certaines nations. Leur but est de saper les fondements constitutionnels et de déstabiliser les États souverains, en alimentant la discorde interethnique et interreligieuse. Dans le même temps, les tactiques employées par ces criminels deviennent de plus en plus complexes et barbares.
Une fois de plus, l’attaque terroriste sanglante qui a eu lieu le 22 mars dans la région de Moscou l’a démontré. Les services de renseignement et les forces de l’ordre russes enquêtent et examinent chaque détail de cet acte ignoble, identifiant toutes les parties impliquées, notamment ses instigateurs, ses commanditaires et ses orchestrateurs. Aucune d’entre elles ne doit échapper à un juste châtiment.
Je sais que votre réunion portera principalement sur la question de la protection de l’espace d’information contre les menaces internes et externes. Ce sujet est important pour toutes les nations, car il contribue de manière significative à la sécurité nationale, à la stabilité sociale et au développement économique.
Nous plaidons vigoureusement en faveur d’efforts systématiques et concertés de la part de la communauté mondiale pour établir des normes et des principes unifiés et juridiquement contraignants régissant la conduite des États dans le domaine de l’information.
Il ne fait aucun doute que le facteur clé du renforcement de la souveraineté et de la sécurité des nations réside dans la sauvegarde et la protection des valeurs spirituelles et morales traditionnelles. L’expérience historique montre que les pays qui préservent l’identité nationale et le patrimoine unique de leur peuple, tout en respectant l’héritage de leurs ancêtres et en faisant preuve du même respect pour les autres cultures et traditions, se développent de manière régulière et indépendante.
Cette approche est particulièrement importante dans le paysage contemporain, caractérisé par l’émergence d’un ordre international multipolaire et un glissement progressif vers la majorité mondiale. De nouveaux pôles de croissance consolident activement leur influence.
Je tiens à le répéter : la Russie est prête à collaborer étroitement avec tous les partenaires intéressés afin de préserver la sécurité mondiale et régionale et d’établir un nouvel ordre international multipolaire conforme aux intérêts de la majorité des nations.
Je suis convaincu que votre réunion d’aujourd’hui renforcera la coopération dans l’intérêt mutuel de nos pays et de nos peuples, ainsi que dans l’intérêt de la paix et de la stabilité dans le monde.
Je vous souhaite beaucoup de succès.
Annexe 2 : Transcription (non officielle) de la vidéo sur la guerre cybernétique
Nous vivons à l’ère d’une quatrième révolution technologique qui va fournir à l’humanité de nouvelles opportunités qu’elle n’avait pas auparavant. Les communications modernes et les technologies de communication de masse, l’internet des données, l’intelligence artificielle, le cloud, la blockchain, le big data, le e-gouvernement, la médecine digitale et les cryptomonnaies font déjà partie intégrante de notre quotidien. Mais malgré tous les avantages indéniables de ces technologies, les technologies de l’information et de la communication posent aussi de nouvelles menaces. Des menaces pour la paix internationale, la sécurité et la stabilité du monde. Des menaces à la souveraineté et à l’intégrité territoriale des Etats. Ces technologies sont en effet devenues l’un des instruments d’interférence dans les affaires intérieures des pays. A travers les réseaux sociaux, des pirates incitent à l’inimitié interethnique, interraciale et interreligieuse, faisant la promotion du terrorisme et de la xénophobie. Ainsi les soi-disant Révolutions de couleur, ainsi que les tentatives de détériorer l’environnement social et politique en provoquant des manifestations en Biélorussie, en Iran, en Serbie, en Géorgie et en Ukraine, en sont les premiers exemples. Les actes criminels faisant appel aux technologies modernes entravent le renforcement de la paix et de la coopération entre les Etats, détruisant les cultures nationales et ruinant les valeurs spirituelles. La situation des affaires internationales dans le domaine des technologies de l’information et de la communication peut être caractérisée par une augmentation des conflits géopolitiques.
Dans un effort pour maintenir l’illusion d’une supériorité numérique, les Etats-Unis et leurs alliés imposent à la communauté internationale, y compris dans le monde digital, ce qu’ils appellent « l’ordre basé sur les règles », qui leur est favorable et renforce leur sécurité au détriment de celle des autres. Ils tracent des lignes de démarcation à leur guise et divisent les États en responsables et irresponsables, démocratiques et non démocratiques. La Russie, à son tour, souhaite établir un système mondial équitable de sécurité de l’information internationale, afin de prévenir et de résoudre pacifiquement les conflits dans l’espace de l’information. La Russie adhère strictement aux principes de l’égalité souveraine des États et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures.
Pendant la Guerre froide, la menace d’une frappe nucléaire mutuelle était la base du système de dissuasion en cas de conflit à grande échelle. C’est ainsi qu’est apparu le concept de stabilité stratégique, excluant une première frappe nucléaire par l’une des parties. Après l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution de l’Organisation du traité de Varsovie, la parité stratégique militaire et l’équilibre de la politique militaire ont changé radicalement. Vladimir Poutine a ainsi déclaré : « Je considère que le modèle unipolaire est non seulement inacceptable mais aussi impossible dans le monde d’aujourd’hui. Et ce, non seulement parce que les dirigeants individuels, en particulier à l’époque moderne, manqueraient de ressources militaires, politiques ou économiques ; plus important encore, le modèle lui-même est défectueux parce qu’il n’a pas de fondement moral pour la civilisation moderne. » Dans ces nouvelles conditions, les États-Unis ont tenté de créer un monde unipolaire géré et, avec le développement des TIC et de l’internet, Washington a commencé à projeter ses ambitions géopolitiques dans cette sphère également.
Ces dernières années, les États-Unis et leurs alliés ont redoublé d’efforts pour militariser l’espace de l’information, accroître les capacités offensives des TIC et améliorer les méthodes d’attaque informatique. De nombreuses preuves documentées, allant jusqu’à des aveux publics de hauts fonctionnaires et de militaires, font état de telles opérations de guerre d’information. Ces attitudes sont inscrites dans les documents doctrinaux adoptés aux États-Unis en 2023, notamment la stratégie nationale de cybersécurité, la stratégie cybernétique de la marine et la stratégie du ministère de la défense pour les opérations dans l’environnement de l’information. Les États-Unis voient une menace pour leur sécurité de l’information dans les activités de leurs rivaux géopolitiques, qu’ils qualifient de « régime autoritaire », c’est-à-dire principalement la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord. À cet égard, le Pentagone revendique la dissuasion à leur égard. Dans ce contexte, Washington reconnaît ouvertement son intention de construire des systèmes numériques en Europe de l’Est pour lutter contre les pays souverains. Depuis le début de l’opération militaire spéciale, l’Ukraine s’est vu confier le rôle de terrain d’essai pour les méthodes d’utilisation militaire et politique des TIC contre la Russie. L’ensemble du secteur de la sécurité de l’information en Ukraine est géré par des superviseurs occidentaux. Conformément aux documents de l’OTAN, des unités de cyber-commandement américaines et les cyberforces multinationales de l’UE, qui forment et coordonnent les pirates informatiques pour les activités antirusses, sont déployées à Kiev.
Les services de renseignement américains transmettent des informations sur les méthodes de piratage et les vulnérabilités des systèmes russes au Pentagone, à la NSA et aux structures militaires de l’OTAN. Un important soutien technique et financier est alloué à cette fin. Les activités malveillantes contre la Russie, dans l’espace informationnel, sont en grande partie menées par des groupes établis et supervisés par l’OTAN, avec des pirates informatiques comme l’armée informatique d’Ukraine. A l’été 2023, en particulier, l’armée informatique ukrainienne a interféré avec le système d’un certain nombre de chaînes pharmaceutiques et de laboratoires russes. Pendant sept jours, il y a eu des perturbations dans la distribution des médicaments subventionnés pour la population, y compris les médicaments essentiels, le fonctionnement des services de rendez-vous et de consultations médicales en ligne, ainsi que dans le réseau de réception et de délivrance des résultats d’examens médicaux. En avril 2022, la chaîne de laboratoires médicaux GEMOTEST a été piratée et les données médicales de plus de 30 millions de personnes ont été divulguées. Des attaques inhumaines contre les ressources d’information des hôpitaux, y compris les établissements pédiatriques, se poursuivent depuis deux ans. En juin 2022, une attaque contre les systèmes d’information d’un centre médical a entraîné une panne des équipements médicaux.
Non seulement l’Occident ne condamne pas ce type d’activités, mais il les encourage activement. L’Ukraine a remporté deux prix au Forum européen sur la cybersécurité (Cybersec 2022) pour ses actions dans le domaine de l’information. Lors d’une conférence à Kiev, l’ambassadeur itinérant des États-Unis pour le cyberespace et la politique numérique, Nathaniel Fick, a soutenu les criminels en affirmant qu’il fallait « les réintégrer dans une direction positive ». L’armée ukrainienne est essentiellement une bande criminelle de pirates informatiques et d’arnaqueurs téléphoniques. Sur le territoire de l’Ukraine, il existe plus d’un millier de centres d’appels impliqués dans l’extorsion de fonds. La Russie a averti à plusieurs reprises les pays occidentaux que leur enfant prodige créé pour contrarier la Russie deviendrait tôt ou tard un problème pour les Européens ordinaires. Le soutien antirusse aux criminels ukrainiens a d’ailleurs eu des conséquences négatives. En novembre 2023, les autorités hongroises ont déclaré que la plupart de leurs ressources financières, volées à la suite de délits utilisant les TIC et d’arnaques téléphoniques, se retrouvaient en Ukraine. En République tchèque, plus de 300 personnes ont été victimes d’escrocs ukrainiens rien que l’année dernière et les dégâts ont atteint plus de 3 millions de dollars. La portée géographique et l’ampleur des activités criminelles telles que celles des « combattants pour l’indépendance » sont bien plus vastes et ne se limitent pas à la seule Europe. Par exemple, à l’été 2023, neuf centres d’appels, dont les publics cibles étaient des citoyens des États-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne et de l’Australie, ont été identifiés. Au Canada en particulier, les dommages causés par ces activités frauduleuses se sont élevés à plus de 300 millions de dollars. Et ce sont les États-Unis qui en sont responsables.
Afin de garder le contrôle des communications électroniques à l’échelle mondiale, les autorités et les services de renseignement américains s’appuient souvent sur le potentiel des géants informatiques de la Silicon Valley. Des sociétés comme Apple, Google, Meta, etc. sont appelées à mettre en œuvre docilement les plans politiques de Washington. Les gadgets et logiciels produits par ces sociétés sont munis de « bugs » malveillants afin de collecter des informations, des données personnelles ou d’intercepter de la correspondance personnelle. L’utilisation des logiciels espions Pegasus et Graphite pour accéder à distance au contenu des smartphones des utilisateurs du monde entier est déjà de notoriété publique. Le Pentagone utilise le groupe orbital Starlink à des fins militaires ainsi que pour s’ingérer dans les affaires intérieures des États. Tout en mettant en œuvre le plan de la Maison Blanche, Microsoft a commencé à diffuser de la propagande politique. Il a préparé des rapports biaisés, excluant toute preuve que la majorité des attaques informatiques dans le monde sont menées depuis le territoire des États-Unis et de l’UE. Dans ses documents, Microsoft décrit uniquement les attaques qu’il a réussi à relier d’une manière ou d’une autre aux rivaux géopolitiques des États-Unis. C’est de la même manière biaisée et politisée que l’Occident aborde l’identification des sources des attaques de pirates informatiques.
En fait, les États-Unis et leurs alliés remplacent de véritables enquêtes sur les délits informatiques par la dénonciation publique, sans fondement, des responsables présumés, à leur propre discrétion. C’est ainsi que les médias américains ont lié à plusieurs reprises le groupe de hackers C10p et ZeuS à la Russie. Or, lorsque les forces de l’ordre occidental ont identifié et arrêté les membres de ces groupes, il s’est avéré que la plupart d’entre eux étaient des citoyens ukrainiens. Mais les médias occidentaux n’en parlent pas. Les actions récentes des pays membres de l’OTAN confirment que « l’ordre fondé sur des règles » qu’ils promeuvent est un ordre qui permet aux États-Unis de mener toutes les actions qu’ils jugent nécessaires dans l’espace mondial de l’information, d’identifier arbitrairement les « coupables » et d’appliquer des mesures coercitives à leur encontre. Ces exemples démontrent clairement comment, au nom de leurs objectifs politiques, les États-Unis sont prêts à compromettre leurs principes déclarés et leurs normes de comportement dans l’espace de l’information.
Par ailleurs, nous avons eu, jusqu’à un certain point, une coopération fructueuse avec Washington dans le domaine de la sécurité internationale de l’information. Un exemple en est l’opération visant à traduire en justice le groupe international de hackers Revil, qui a attaqué le système de Pipelines Colonial [système d’oléoduc américain, NdT] et l’entreprise de transformation de viande JBS. À ce stade, en 2021, l’interaction russo-américaine s’est déroulée dans le cadre du groupe de travail de haut niveau Kremlin-Maison Blanche. Même avec les données insuffisantes fournies par la partie américaine, les services secrets russes ont pu identifier et neutraliser cette bande criminelle. Dans le même temps, malgré des demandes répétées, les États-Unis n’ont pas fourni d’informations sur les dommages et intérêts causés par l’extorsion, ce qui est important pour déterminer la sévérité des sanctions. Peu après, Washington mit fin unilatéralement au dialogue mené avec la Russie pour lutter conjointement contre les activités malveillantes dans l’espace numérique. Les autorités américaines ont vu bien d’autres bénéfices à reprendre les accusations infondées selon lesquelles la Russie et d’autres « régimes indésirables » mènent des attaques informatiques. La sécurité internationale de l’information est devenue l’otage de la politique russophobe menée à la demande des États-Unis.
Contrairement aux attitudes agressives occidentales, la Russie, ainsi que les autres pays partageant les mêmes idées, considèrent la coopération internationale comme un outil irremplaçable pour renforcer la paix, la sécurité et la stabilité dans l’espace de l’information. Nous travaillons à la mise en place d’un système mondial équitable de sécurité internationale de l’information. Ces questions sont régulièrement abordées lors des réunions des hauts représentants en charge de la sécurité et des négociations bilatérales. Nous pensons qu’un tel système devrait être bâti sur des accords universels juridiquement contraignants, fondés sur les principes d’égalité souveraine et de non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Avec la militarisation de l’espace numérique et la transformation des attaques informatiques en élément de conflit militaire et politique, un mécanisme juridique est nécessaire pour contribuer à prévenir les conflits interétatiques. Seul un cadre juridique international garantira que les technologies numériques soient utilisées exclusivement à des fins pacifiques et au profit du développement.
L’année dernière, la Russie et un groupe de co-auteurs ont présenté à l’ONU un prototype de traité international en ce sens, le concept d’une convention des Nations Unies sur la sécurité internationale de l’information. Il est important de noter que la majorité des pays s’accordent sur la nécessité d’élaborer un tel traité. La plupart des pays du monde partagent l’approche russe et comprennent notre responsabilité commune dans la mise en œuvre du principe de coexistence pacifique dans l’espace de l’information, sur la base du respect de la souveraineté, de la législation nationale et des traditions de chaque État. Dans le contexte actuel, où l’on ne peut plus parler d’un monde unipolaire, il est particulièrement important d’unir les efforts de l’ensemble de la communauté mondiale pour créer un système de relations internationales garantissant la sécurité mutuelle.
ANNEXE 3 : Discours de Ali Rastbeen
La sécurité culturelle et historique des peuples au XXIe siècle
Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Si l’on veut éviter que le 21e siècle ne devienne, à l’instar, du siècle dernier le théâtre de bains de lier à des délires politico mystiques1, il faut prioritairement protéger la culture et l’identité des peuples. Il est impératif de remettre au goût du jour, la notion d’âme des peuples, en vigueur au 19e siècle, mais depuis ringardisée et obsolète aux yeux des élites médiatiques, idéologiques et politiques en place :La notion d’âme des peuples n’a cessé d’être bafouée.
Elle été marginalement et provisoirement, tolérée et intégrée au corpus doctrinal du système onusien : Conseil de sécurité, Assemblée générale, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) et surtout UNESCO et des grandes institutions internationales, Fonds Monétaire International, Banque Mondiale, Organisation Mondiale du Commerce, Organisation Mondiale de la Santé, Bureau International du Travail …, sous le nom d’identité nationale ou d’identité culturelle. Ces notions n’ont jamais été définies sérieusement ni posées ou fondées en référence à un passé intangible ou à un système moral bien établi. Pour exister et avoir droit de cité dans l’arsenal juridique international, il fallait qu’elles fussent labiles, relatives, interchangeables et adaptables en toutes circonstances.
Quiconque ose décrire la France comme ethniquement gauloise, juridiquement romaine, linguistiquement latine, institutionnellement capétienne et moralement chrétienne est aussitôt étiqueté de fasciste ou d’ultraréactionnaire et mis au ban du système politico médiatique comme « dangereux réactionnaire »
Quiconque s’avise de dire que la Russie est fondamentalement slave, d’esprit tsariste et de culture orthodoxe était, en Occident, est banni du jeu médiatique et regardé comme obscurantiste et antidémocrate.
Quiconque dit qu’il y a des principes respectables dans l’Islam traditionnel et fait l’éloge des traditions soufies ou de la révolution iranienne de 1979, avec ce que celle-ci porte en elle de volonté de retour aux sources et de réappropriation des principes édifiants de l’islam, est aussitôt considéré comme partisan de l’obscurantisme, ennemi des libertés, quand ce n’est pas agent du terrorisme international.
Peu à peu et insidieusement les systèmes politiques occidentaux , sous l’impulsion des Etats-Unis d’Amérique et plus précisément des néoconservateurs et des sectateurs inconditionnels du système démocratique, les dirigeants américains , se sont enfermés dans un système de pensée manichéen où tout ce qui n’était pas eux est le mal absolu et où l’histoire humaine n’est plus que le théâtre d’une immense bataille multiséculaire entre la démocratie et la dictature, entre la modernité et l’obscurantisme , entre la société ouverte et le totalitarisme l’ennemi de toute liberté2.
Cette grille de lecture s’est imposée avec force à partir des années 1990 n’a pas seulement rendu les élites occidentales autistes, elle les a également rendues aveugles et sourdes. Conditionnées par ce schéma de pensée ultra-primaire, elles se sont rendues incapables de comprendre les évolutions profondes du monde contemporain ; inaptes à saisir transformations souterraines qui s’y jouent, discrètement mais sûrement.
Pour parvenir à leur fin, elles réactivent et érigèrent en mythe deux vieilles notions, quelque peu oubliées, : celui de Manifest destiny et celui de cosmopolitisme heureux. La mise en œuvre systématique de ces deux principes provoque des ravages qui dans certains cas, se révèlent mortels. De très nombreuses sociétés sur chacun des cinq continents ont subi ses conséquences destructrices. En Europe, les deux principaux laboratoires d’expérimentation de ces politiques de destruction des peuples à grande échelle furent la Russie et les provinces de l’ex-Yougoslavie.
Pour réfléchir à l’avenir, il faut paradoxalement se plonger dans le passé. Les bouleversements les plus récents vécus par l’Union Européenne dans son voisinage stratégique ont été provoqués par les guerres de successions yougoslaves dans les années 90. Ces évènements hautement tragiques se sont soldés par la primauté des intérêts de l’OTAN sur ceux de l’Union Européenne qui venait à peine de ratifier son traité de Maastricht (en 1992). Les conséquences du dépeçage de la Yougoslavie n’en finissent pas d’impacter l’Union Européenne, qui soutient deux entités largement artificielles et sans légitimité historique comme la Bosnie et le Kosovo, toutes deux largement sous perfusion financière internationale. Les mafias profitent de cette manne au plus haut sommet des nouveaux pouvoirs locaux. La construction d’États multiethniques ou artificiels par des forces extérieures est une utopie. La démocratisation de type occidentale se révèle impossible. La Serbie, État pivot des Balkans, se remet difficilement de ses amputations territoriales forcées, et la non prise en compte de ses intérêts légitimes hypothèque un règlement définitif de la question balkanique, source d’insécurité régionale. L’opération de l’OTAN au Kosovo et la partition non négociée de ce territoire a fourni un prétexte à le Russie pour reconnaître comme entités indépendantes l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Les opérations de l’OTAN ont surtout constitué un obstacle majeur à un rapprochement entre l’Union Européenne et la Russie.
A l’avenir pour protéger l’identité et l’indépendance des peuples – au premier chef ceux qui ne disposent pas de puissantes forces armées – il faudra reconnaitre un droit imprescriptible des peuples à disposer de leur langue, de leur identité et de leur culture ; droit assorti de protections militaires mais aussi juridiques (pénalités financières en cas de violation de ces principes par une puissance extérieure). Cela passe par la constitution de puissances alternatives à la superpuissance américaine, capables de faire contrepoids et de contrecarrer ses projets d’asservissement ou de mise au pas des petits peuples indociles. Cela passe enfin par la constitution d’alliances – militaires mais aussi économiques, linguistiques, culturelles et civilisationnelles – capables de mobiliser très rapidement réserves monétaires, arsenaux et troupes armées en cas d’agression d’un petit peuple par une puissance anglo-saxonne continuant à prétendre à la domination mondiale.
1 La formule est empruntée au pape Pie X qui définissait le « modernisme » comme l’égout collecteur de toutes les hérésies.
2 Cf. Karl ¨Popper; La société ouverte et ses ennemis.
ANNEXE 4 : Intervention de Pierre Lorrain, journaliste et écrivain
Les défis des médias dans le paysage mondial en mutation : le cas de la France
Monsieur le président de séance,
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,
Mesdames et Messieurs,
Avant tout, je tiens à remercier le Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie pour l’accueil qui nous a été réservé, à mes collègues de France et à moi, à Saint-Pétersbourg.
Je tiens à préciser que mon intervention ne reflète nullement la position des autorités française. Elle n’engage que moi-même.
Au cours de cette session, il a été principalement question de sécurité de l’information. Je me propose de parler de l’information elle-même et de son véhicule traditionnel, les médias, domaine dans lequel je travaille depuis plus de quarante ans.
Le but de cette courte communication est de mettre en évidence les défis presque insurmontables auxquels sont confrontés les médias occidentaux en général – et français en particulier – dans la transition à laquelle nous assistons vers un monde polycentrique.
Mon expérience dans la presse européenne m’a montré que pour de très nombreux de mes collègues – pas tous heureusement – il est très difficile, voire impossible, de se situer dans un système de relations internationales où les pays occidentaux n’occupent plus la place centrale. Ils se trouvent dans une situation presque pathologique de refus de l’évolution de la planète vers le monde multipolaire tel qu’il se révèle aujourd’hui. Leur conception des rapports de force planétaires est restée figée à l’époque des années 1990 où les Occidentaux dominaient la politique mondiale et considéraient tous les autres pays comme des partenaires mineurs à qui on pouvait dicter des conditions.
Dans les milieux occidentaux de l’information, la France occupe une place particulière en raison du poids traditionnel de l’idéologie dans la société. La perte de l’hégémonie occidentale y est particulièrement sensible et se traduit essentiellement par la négation et l’occultation presque totale de tout ce qui vient contrarier le discours dominant. Précisons que ce discours n’est pas forcément celui du gouvernement en place, mais plutôt celui qu’imposent la « bien-pensance » et la culture dominante empreinte de « wokisme ». Les valeurs traditionnelles sont discréditées, à commencer par la famille, et tout ce qui n’est pas conforme aux dogmes éco-conscients et inclusifs est discrédité comme complotiste et dénoncé ou passé sous silence dans la presse traditionnelle. Quant aux pays qui refusent cette culture occidentale, ils sont forcément rétrogrades et doivent être combattus idéologiquement, politiquement et même militairement.
Évidemment, dans mon pays, cela n’empêche pas le débat politique, parfois virulent, mais à condition qu’il reste dans les limites de la doxa tacitement autorisée. On ne peut pas parler réellement d’une censure de la presse grand public, mais d’une autocensure des rédacteurs et des journalistes eux-mêmes. En effet, pour des raisons qui tiennent à la culture politique et aux luttes idéologiques intrinsèques à la France, les journalistes français sont plus des militants ou des juges que de véritables professionnels de l’information. Pour eux, la distinction entre les faits et les commentaires n’existe pas. Leurs articles sont orientés, volontairement ou non, et ils se comportent plus en « spin doctors » ou en propagandistes qu’en véritables professionnels.
De plus, on assiste à une dérive préoccupante : traditionnellement, les publications n’avaient pas des positions homogènes et il était possible d’obtenir une information honnête en comparant des articles d’orientations différentes. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment le cas et l’écrasante majorité des organes de presse reste dans le conformisme et semble avoir perdu tout esprit critique.
Permettez-moi une anecdote personnelle. Dans les années 1990, j’enseignais au sein d’une importante école de journalisme à Paris. Mes étudiants avaient comme idéal de devenir journalistes d’investigation et de dénoncer les compromissions et les mauvaises conduites du pouvoir. Les collègues qui m’ont succédé m’ont rapporté une lente dérive au fil du temps : la plupart des futurs journalistes qu’ils forment aujourd’hui ont perdu toute volonté de lutter pour la vérité et se sont transformés en champions des grandes causes écologiques et sociétales du moment, essentiellement « wokistes ». Or, ces causes sont celles que défend le gouvernement. Il y a donc une alliance tacite entre le pouvoir et la presse, à l’exception de quelques rares magazines qui présentent une vision différente sur certains sujets comme la société, la politique d’immigration ou l’économie.
En revanche, dès qu’il s’agit de politique internationale, l’unanimisme règne. Ainsi, concernant l’opération militaire spéciale en Ukraine, la totalité des médias reprennent sans discernement la propagande otanienne de la « guerre non provoquée » et ne diffusent que la vision ukrainienne des événements. Quant à Gaza, la plupart des partis politiques et des médias – à l’exception de l’extrême gauche – estiment de manière totalement partisane et irrationnelle qu’il est impossible de parler de « génocide » en dépit du bilan dramatique et disproportionné en victimes innocentes et destructions d’infrastructures civiles vitales.
Pour conclure, il faut constater que la prise de conscience par la société française de la réalité de l’évolution de la planète vers le polycentrisme ne peut se faire qu’au prix de lourdes et difficiles remises en question. Par exemple, les élites politiques et journalistiques françaises expliquent la perte par la France de ses positions dans un nombre croissant de pays d’Afrique par de supposées actions malveillantes de la Russie et de la Chine. Il ne leur vient pas à l’esprit qu’il faut essentiellement blâmer les insupportables comportements néocoloniaux français, car les autres pays ne font que mettre à profit le rejet croissant que ces comportements provoquent.
En réalité, il faudra sans doute de longues années pour que Paris tire les enseignements de ses erreurs. Des années d’autant plus longues que les organes de presse français ne peuvent plus jouer leur rôle traditionnel qui consiste à montrer la réalité telle qu’elle est : ils se replient dans le monde illusoire de la suprématie occidentale.
Merci de votre attention.