Mais que se passe-t-il au célèbre 2 rue de l’Elysée ?
Que se passe-t-il dans les médias et les institutions françaises ? Réaliserait-on que le train du développement de l’Afrique est parti depuis l’an 2000 et qu’on ne fait pas décoller un avion avec un poêle à bois ?
Du diamantaire Giscard d’Estaing à l’éphémère Emmanuel Macron, rien n’a changé sous le soleil de l’Afrique francophone… Les élites politiques et industrielles courent toujours après la main invisible ; elles ne cherchent que le profit et le plaisir à court terme par tous les moyens possibles, y compris la mort d’autrui.
Et pourtant on voit soudain les intellectuels s’agiter. Leur « bonne conscience » s’émeut un peu plus que de coutume que les pays d’Afrique de l’Ouest soient « dépossédés de leur souveraineté monétaire et voient leurs devises imprimées à Chamalières, village auvergnat (…) ». Ainsi un groupe de « personnalités » de la société civile a-t-il signé en juin 2018, dans Libération, une tribune intitulée « En finir avec la Françafrique » (1). On se permettra néanmoins de s’étonner que ce débat n’ait pas lieu lors des élections présidentielles, et qu’aucune de ces personnalités n’adressa son soutien officiel à M. Cheminade, lorsque candidat en 2017, il ne cessa de dénoncer publiquement le franc CFA, notamment lors du grand débat sur BFM TV… (2)
En juillet 2018, L’Express publiait quant à lui une interview de Laurent Bigot, ancien sous-directeur chargé de l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay : « Pendant cinquante ans, on nous a fait croire que l’aide au développement [aux Etats africains] était la solution pour dissuader les populations d’émigrer ; or elle est un échec (…) Il s’agit, au mieux, de paternalisme, sinon d’un racisme inconscient consistant à dire : ‘Les pauvres, ils n’y arriveront jamais tout seuls.’ Tous les programmes de développement, qu’ils soient pensés par la Banque mondiale ou par les différentes coopérations, sont conçus par les donneurs d’argent, pas par ceux qui en bénéficient (…) Quand on regarde les stratégies du FMI ou de la Banque mondiale, on est dans la stratosphère ! »
L’Institut Montaigne…
Pour y répondre, prenons tout d’abord un instant pour regarder ce qu’a produit l’Institut Montaigne, dont la philanthropie n’est plus à démontrer… Disons qu’elle est à la mesure de celle d’un Jean-Louis Borloo – qui après avoir découvert que l’Afrique avait besoin d’électricité au XXIe siècle et convoqué de nombreux sommets dans les plus luxueux hôtels du continent, a finalement quitté le navire pour échouer à la politique de la ville en France à la demande d’Emmanuel Macron, y menant un plan de sauvetage qui aura lui aussi fini par prendre l’eau.
L’Institut Montaigne est un think-tank crée fin 2000 par Claude Bébéar et dirigé par Laurent Bigorgne « en toute indépendance ». En septembre 2017 il publie un rapport intitulé « Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui » (3).
C’est dans ce rapport, où on peut lire qu’« il est (…) temps de considérer les pays africains comme nos partenaires, politiques et économiques », qu’on commence à percevoir un changement dans les « éléments de langage » concernant les relations entre la France et l’Afrique. Malheureusement ceci consiste moins en un réel engagement pour le co-développement que dans celui, plus pragmatique, de favoriser nos propres entreprises : « L’Afrique présente pour les entreprises françaises de nombreuses opportunités. Ce discours de restart doit libérer les énergies et favoriser l’accès des entreprises françaises aux marchés africains. »
Notons qu’en réponse à l’excellent rapport sur l’apport de la Chine en Afrique publié en juin 2017 par le cabinet McKinsey sous le nom « La danse des lions et des dragons » (4) (où fut tordu le cou, grâce à des données objectives, aux idées reçues), le rapport de l’Institut Montaigne ne manqua pas de jeter le trouble. Ainsi le chapitre 1.2 : « L’Afrique dans la mondialisation », sous-titrait-il : « a. Les émergents, contributeurs au développement ou à l’endettement ? » Ici l’Institut Montaigne se faisait l’écho d’une nouvelle vague de désinformation dans le monde occidental au sujet des stratégies économiques de la Chine, accusée d’utiliser le chantage par la dette auprès des pays africains (5). Un comble, quand on sait que les politiques du FMI, de la Banque mondiale, de l’AFD, etc. ont justement imposé, après des années d’exercice, de créer un nouveau concept pour désigner les Pays Pauvres très endettés (PTTE) – dont les trois quarts se situent en Afrique subsaharienne… et dont, par le plus grand des hasards, la majorité est en zone francophone !
En réalité c’est avec l’émergence des BRICS et du programme chinois Une ceinture, une route, que l’Afrique est entrée des deux pieds dans l’ère du co-développement, et qu’elle peut enfin espérer tourner la page avec la logique de mendicité et de soumission liée à « l’aide au développement ». Le sommet de la coopération Chine-Afrique (FOCAC), des 3 et 4 septembre de cette année, a réuni 54 délégations ou chefs d’Etats africains à Beijing. Avec un enthousiasme sans précédent il a confirmé l’agenda de co-développement sino-africain autour des infrastructures, de la formation des médecins et des agriculteurs, de l’aide à l’exportation de produits manufacturés africains, ou encore de l’auto-suffisance alimentaire.
On comprend alors pourquoi tant d’articles français commencent maintenant par « Alors que la Chine annonce 60 milliards de dollars d’investissements en Afrique, la France annonce (…) » ? (6)
Rémy Rioux, directeur général de l’AFD depuis juin 2016, et qui vient de donner plusieurs interviews dans la presse française, ne l’avoue-t-il pas lui même quand il déclare : « On a, à dire vrai, une question chinoise, nous acteurs de la politique de développement (…) ? Et de poursuivre : « Les Chinois rentrent dans le jeu collectif. Le président l’a dit dernièrement. Ils défendent le multilatéralisme sur les questions commerciales, sur les questions climatiques, sur les questions de biodiversité. On n’a pas encore tout à fait réussi à trouver, nous, comment faire des projets ensemble et ça c’est une direction stratégique très importante que j’assigne à notre maison, il faut que l’on soit plus partenariaux ».
L’AFD
Mise en place le 24 octobre 1970 par l’UNESCO, « l’aide au développement » exige des pays de l’OCDE une contribution à hauteur de 0,70 % de leur produit national brut (PNB), sous forme de charité type « dame patronnesse ». La France, pour sa part, n’y consacre via l’AFD que 0,37 % de son PNB, soit 8 milliards d’euros ; dont seulement 40 % à destination de l’Afrique…
Aujourd’hui, comme par exemple au Gabon, des associations de la société civile ont engagé des poursuites juridiques contre l’AFD au sujet de prêts accordés par l’agence au gouvernement gabonais.
Dans le journal Le Monde du 18 septembre 2018 (7), Rémy Rioux, « l’homme qui valait 12 milliards » comme on l’appelle, nous rassurait : « Ce milliard [d’euros] de crédits est la preuve du nouvel élan politique que le président de la République s’est engagé à donner à l’aide publique au développement [APD]. Il n’est que la première étape du chemin qui doit permettre de porter l’APD à 0,55 % de notre revenu national d’ici à la fin du quinquennat, contre 0,38 % aujourd’hui. » On y apprend sans surprise que « l’AFD est l’instrument de cette nouvelle priorité, au service du ministère des Affaires étrangères et de l’ensemble du gouvernement » et plus loin que « des progrès restent à accomplir » mais que « l’AFD est en train de s’ouvrir ».
Nous remercions Mr Rioux, de préciser que « la dette portée par l’Afrique, dans son ensemble, en pourcentage de son PIB est très, très inférieure à celle de toutes les autres régions du monde ». Mais nous le blâmons de ne pas reconnaître le caractère odieux de la dette engrangée par les pays africains auprès des institutions financières internationales.
L’aide au développement est morte, vive le développement de l’Afrique !
Et c’est avec les déclarations lyriques de Jean-Claude Juncker, lors de son discours de l’état (d’ébriété?) de l’Union 2018, le 12 septembre dernier (9), que la tragédie française et européenne de ces 26 dernières années s’est terminée en farce. Il y a déclaré sans gêne : « Nous devons investir davantage dans nos relations avec ce grand et noble continent et ses nations individuelles. Nous devons arrêter d’envisager cette relation entre l’Afrique et l’Europe comme si nous n’étions qu’un donneur d’aide au développement. Une telle approche serait insuffisante. En fait, humiliante. L’Afrique n’a pas besoin de charité, elle a besoin de partenariat équilibré, d’un vrai partenariat. » Et d’ajouter, sans se rendre compte de l’incapacité de l’Union européenne à créer des emplois en son sein, que « la Commission propose aujourd’hui une nouvelle alliance entre l’Afrique et l’Europe, une alliance pour des investissements et des emplois durables. Cette alliance – telle que nous l’envisageons – permettrait de créer jusqu’à 10 millions d’emplois en Afrique au cours des cinq prochaines années. »
Soyons sérieux, et parlons concret : le développement suppose des projets concrets et pas simplement d’égrainer quelques chiffres. « J’inscrirai dans la loi l’objectif de 0,7 % du PIB à l’aide au développement, c’est la grandeur de la France et son intérêt », avait déclaré Benoît Hamon, sans évoquer le moindre projet de développement. Cela équivaut à désigner le monde de la finance comme adversaire sans réformer réellement le système bancaire.
Il est donc temps de donner un signal fort de changement. En créant, en lieu et place de l’AFD, un grand ministère de la Coopération, du co-développement et de l’intégration, dont l’impératif sera une politique de développement mutuel autour de grands projets d’infrastructure : remise en eau du lac Tchad (8), canal de Jonglei au Soudan, grande muraille verte, désenclavement de la RDC, projet AFRICARAIL, trains à grands vitesse reliant les capitales africaines entre elles, canaux reliant les grands lacs entre eux.
Le temps est venu pour une émergence de la souveraineté africaine. Libérée des dictatures intérieures et extérieures de toutes sortes, en mesure de choisir ses alliés et d’imposer ses conditions, l’Afrique saura relever le défi de son propre développement et de son propre destin.
Sébastien Périmony, le 24 septembre 2018
- En finir avec la Françafrique : https://www.liberation.fr/debats/2018/06/26/en-finir-avec-la-francafrique_1662060
- 2 exemples : Cheminade contre le CFA dans le grand Débat BFM TV : https://www.youtube.com/watch?v=BmOpqv0dlRA ; Cheminade contre le CFA dans « C à Vous » sur France 5 : https://www.youtube.com/watch?v=lVb1BpTEZow
- Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui ? (Institut Montaigne) http://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/prets-pour-afrique-ajourdhui-rapport.pdf
- Résumé par l’auteur en français et lien vers le document originel en anglais : https://solidariteetprogres.fr/spip.php?article13614
- Pour en savoir plus lire l’article du même auteur : Afrique-Chine : pourquoi la thèse de la « diplomatie de la dette » ne tient pas debout « https://africandailyvoice.com/2018/09/07/afrique-chine-pourquoi-la-these-de-la-diplomatie-de-la-dette-ne-tient-pas-debout/
- Comme celui-ci sur franceculture.fr : https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/aide-au-developpement-francaise-changement-de-priorites-en-afrique
- Interview de Rémy Rioux dans le journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/09/18/l-agence-francaise-de-developpement-a-les-mains-propres-et-agit-pour-les-populations_5356899_3212.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1537292446
- Sur le lancement du projet Transaqua : http://www.institutschiller.org/L-Afrique-avec-les-yeux-du-futur.html
- Discours de Jean-Claude Juncker : https://wayback.archive-it.org/12090/20231103121509/https://commission.europa.eu/system/files/2018-09/soteu2018-speech_fr.pdf