Par Sébastien Périmony, Septembre 2018.
La fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche a parfaitement résumé le Forum Chine-Afrique qui s’est terminé le 4 septembre à Beijing : « La confiance des dirigeants africains détermine désormais la scène mondiale (…) ; l’Afrique sera la pièce centrale du futur de l’humanité. »
L’édition 2018 de la FOCAC (Forum de coopération sino-africaine) s’est donc tenue les 3 et 4 septembre à Beijing. 54 chefs d’Etat et délégations officielles se sont réunis pendant deux jours, représentant 2,8 milliards d’individus, soit un tiers de la population mondiale. Ensemble, ils ont redéfini leur « relation stratégique globale », comme l’avait qualifiée Xi Jinping lors de la dernière édition qui avait eu lieu en 2015 à Johannesburg en Afrique du Sud. En 2015 déjà, un plan en 10 points avait été lancé par le président chinois : industrialisation, modernisation agricole, réduction de la pauvreté, infrastructures, développement durable, services financiers, commerce et investissement, protection sociale, santé et sécurité. La Chine avait alors investi 60 milliards de dollars dans ce plan.
Mais ce nouveau type de forum, unique par son ampleur, s’inscrit dans le nouveau paradigme initié par la Chine en septembre 2013 avec son Initiative une Ceinture une Route (ICR). L’ICR est un ensemble de grands projets d’infrastructures et de développement mutuel à l’échelle internationale, qui déjà a engendré 5000 milliards de dollars d’échanges commerciaux – soit 30 % des 16 000 milliards des échanges annuels dans le monde. Ainsi, en mai 2017, lors du forum La Ceinture la route à Beijing, qui avait réuni des chefs d’État et des délégations représentant 110 pays, la Chine avait signé 103 protocoles de coopération avec 88 pays, régions ou organisations mondiales. Les ports chinois sont désormais connectés à plus de 600 ports dans le monde, et le nombre de trains de fret entre la Chine et l’Union européenne vient de dépasser les 10 000. Les entreprises chinoises ont établi 82 parcs industriels dans les pays de l’ICR.
Lors du discours d’ouverture du FOCAC 2018, Xi Jinping a rappelé les principes sous-jacents à cette coopération : bonheur pour tous, dialogue des civilisations, sécurité globale et environnement (lutte contre la désertification). Et pour ce faire, il a proposé huit initiatives : autosuffisance alimentaire d’ici à 2030 avec 50 projets agricoles et la formation de 50 agronomes hautement qualifiés ; interconnexion des infrastructures en partenariat avec l’agenda 2063 de l’Union africaine ; augmentation des importations africaines en Chine (pas seulement de matières premières mais aussi et surtout de produits manufacturés) ; formation, avec 50 000 bourses pour des étudiants africains ; santé, avec l’accent mis sur les zones rurales ; coopération culturelle (pour faire connaître la culture africaine en Chine) ; et enfin, paix et sécurité avec la formation de militaires.
Il a renouvelé l’enveloppe de 60 milliards de dollars pour la période 2019-2021.
Les chiffres et les projets sont d’ores et déjà impressionnants, comme l’a montré le rapport publié par le cabinet international McKinsey Les lions dansent avec les dragons.
Ainsi, depuis le tournant du XXe siècle, la Chine a été catapultée de relativement petit investisseur sur le continent à partenaire économique le plus important d’Afrique. Depuis le début du millénaire, le commerce entre l’Afrique et la Chine a augmenté d’environ 20 % chaque année et les investissements directs à l’étranger (IDE) ont connu une croissance annuelle vertigineuse de 40 %.
Au sein des plus de 1 000 entreprises étudiées par le rapport, 89 % des employés étaient africains, ce qui représente plus de 300 000 emplois pour les travailleurs autochtones. Si l’on fait une projection linéaire sur les 10 000 entreprises chinoises réellement présentes en Afrique, on peut déduire que les entreprises chinoises emploient déjà plusieurs millions d’Africains. De plus, près des deux tiers des employeurs chinois offrent une formation professionnelle. En 2015, les engagements chinois en faveur de l’infrastructure en Afrique s’élevaient à 21 milliards de dollars, soit plus que le total cumulé du Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA), dont les membres sont : la Banque africaine de Développement ; la Commission européenne (CE) ; la Banque européenne d’investissement (BEI) ; la Société financière internationale ; la Banque mondiale et les pays du Groupe des huit (G8).
Un exemple : l’Ethiopie
L’Ethiopie est l’un des pays africains entretenant le plus de liens économiques avec la Chine depuis quelques années. Or les progrès y sont très palpables.
Le premier train à grande vitesse éthiopien a été inauguré en octobre 2016. Longue de 753 km, la nouvelle ligne permet de réduire la durée du trajet entre Djibouti et la capitale éthiopienne à 10 heures seulement, au lieu de 7 jours précédemment !
1. Le nombre d’enfants scolarisés a doublé en 10 ans. 30 nouvelles universités ont été créées et le nombre d’étudiants dans le supérieur est passé de 3 000 à 37 000 au cours de la même période (ce qui nous laisse imaginer l’impact sur le futur de la société).
2. La puissance électrique installée, un autre facteur très important de développement, est passée de 350 MW à 2400, auxquels s’ajouteront bientôt 6000 autres, lorsque le grand barrage de la Renaissance sera inauguré.
3. Une extension significative du réseau de chemins de fer est en cours, qui devrait passer de 800 à 4000 km dans les années à venir.
Et, cerise sur le gâteau :
En septembre 2015, a été inaugurée la première ligne de métro de toute l’Afrique subsaharienne, reliant l’aéroport à la capitale Addis-Abeba. Un projet financé à 85 % par la Banque d’exportation et d’importation de Chine et par le gouvernement éthiopien, pour un total de 475 millions de dollars ; et réalisé là encore par la China Railways Engineering Corporation. L’exploitation du réseau est assurée par l’Ethiopian Railways Corporation et la Shenzhen Metro Company. Le tout assurant 31 km de ligne, 39 stations et 60 000 passagers par jour.
Toute cette politique de développement a permis en partie de mettre fin à la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée, qui a duré trop longtemps et fait des milliers de victimes et d’exilés. Voilà un exemple magnifique de pourquoi le co-développement est le nouveau nom de la paix.
Des projets similaires entre Nairobi et Mombasa (Kenya), et Abuja et Kaduna (Nigeria) sont également opérationnels.
Que fait la France ?
Le 14 novembre 2016, dans la foulée de la visite du Premier ministre chinois en France, la CDC IC et le Fonds d’Etat chinois CIC ont signé un accord créant le « Sino-French Third-Countries Investment Fund » (Fonds franco-chinois pour l’investissement dans les pays tiers). Ce fonds a pour vocation « de soutenir des projets d’entreprises, pour lesquels la forte complémentarité entre les économies française et chinoise permettra de favoriser le développement économique et social des marchés tiers ». Laurent Vigier, le directeur de CDC IC, précise : « Cette alliance d’un nouveau type, scellée au travers de ce fonds, vise à promouvoir la coopération économique entre nos deux pays. Plutôt que d’être en concurrence frontale en Afrique, nous investirons en partenariat. »
Beaucoup de personnalités défendent cette idée. Tout d’abord Jacques Cheminade, qui a été candidat aux élections présidentielles en France et défendait déjà, en 1995, le concept de Nouvelles Routes de la soie ; Jean Pierre Raffarin, ancien Premier ministre ; ou encore Jean-Pascal Tricoire, qui préside le Comité France-Chine, en pointe sur ce dossier (président de Schneider Electric depuis 2006).
Les outils sont là mais la volonté politique en France reste pour l’instant sur le papier ou dans de grands discours, comme celui de M. Macron à Xian. Pourtant, s’il est un projet qui permettrait d’initier une telle coopération tripartite entre la France et la Chine, c’est bien celui d’AFRICAIL, dont les droits sont détenus par une société française. Le projet consiste en une boucle ferroviaire de 3000 km environ, pour désenclaver l’Afrique de l’Ouest et relier la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et ensuite le Togo. Nous savons que les Chinois sont intéressés par ce projet ; c’est donc une occasion unique d’intégrer la France dans une nouvelle relation avec l’Afrique – car comme on le sait aujourd’hui, la politique d’ « aide au développement » n’a pas fonctionné par le passé, ne fonctionne pas dans le présent et donc ne fonctionnera pas non plus dans le futur (pour reprendre les propos du président du Ghana lors de la visite de M. Macron dans son pays en décembre 2017).
La Chine voit les potentiels en Afrique, là ou d’autres ne voient que les problèmes… C’est le défi qu’il faut lancer à la France : voir enfin l’Afrique avec les yeux du futur.