Corruption : Nouveau rapport embarrassant de la banque mondiale

Par Sébastien Périmony, Mars 2020.

Le plus « grand projet » d’Afrique : arrêter la corruption… à sa source

Avec la sortie, le 18 février dernier, du dossier de la Banque mondiale intitulé « Les élites s’accaparent-elles l’aide étrangère ? » ¹ et la polémique qui en a résulté, l’occasion nous est donnée d’aborder l’un des plus grands fléaux d’Afrique : la corruption des élites. Mais à ce constat ajoutons-en un
second, qui commence tout juste à faire couler de l’encre chez les commentateurs occidentaux : celui selon lequel il n’y pas de corruption… sans corrupteur(s).

D’abord précisons que le rapport ne prend pas en compte les rentes pétrolières des dirigeants africains, qui ont la fâcheuse habitude
de brader une telle matière première au plus offrant, moyennant quelques menues commissions bien mal acquises. Le scandale des « Luanda Leaks » (du nom de la capitale d’Angola) n’en est malheureusement qu’un exemple tonitruant : la fille de l’ancien président angolais, Isabel Dos Santos, qui
dirigeait la société pétrolière SONANGOL, et ainsi est devenue la femme la plus riche d’Afrique, dans un pays où la vente de pétrole représentait alors 90 % des exportations et 70 % du PIB.

Évidemment, on s’attendrait à ce qu’une étude émise par une si « grande et
honorable » institution que l’est la Banque mondiale, soit l’occasion pour elle de vérifier sa propre légitimité et l’efficacité de ses dispositifs. Voici donc la conclusion du rapport – répondant, rappelons le, à l’interrogation
sur la destination réelle des aides étrangères prodiguées aux pays africains :
« Les versements d’aides vers les pays les plus dépendants coïncident avec une augmentation importante de transferts vers des centres financiers off-shore, connus pour leur opacité et leur gestion privée de fortune. » Or (et la démission de l’économiste en chef de la Banque mondiale, Penny Goldberg, le 5 février dernier, ne devrait a priori pas y changer grand chose), ces transferts correspondraient à 5 à 15 % des aides fournies par la Banque mondiale !

Ces « détournements » termineraient donc dans les paradis fiscaux – principalement en Suisse et au Luxembourg. Nous rappellerons au passage les nombreuses bonnes paroles prêchées par l’Union européenne contre la
corruption, et qui avait jusqu’à récemment encore à sa tête le titubant Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre du… Luxembourg (1995-2013).

« Pour s’attaquer à la corruption, il faut une presse libre, une police libre et une justice indépendante. Aucune de ces trois conditions n’est remplie en Afrique. La Justice est entre les mains d’un groupe oligarchique » avait rappelé en 2019, sur le site de France Info Afrique, Ahmedou Ould Abdallah, ancien chef de la diplomatie mauritanienne et secrétaire général adjoint de l’ONU. En réalité le constat n’est pas nouveau. Déjà en 2013, un rapport avait été publié par la Banque Africaine de Développement (BAD)
et le Global Financial Integrity (GFI)², dans lequel on pouvait déjà lire, sous la plume de Raymond Baker (directeur du Centre de recherche et de défense de la GFI, basé à Washington) :

« L’idée reçue a toujours été que l’Occident injecte de l’argent en Afrique, grâce à l’aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand chose en retour. Notre rapport inverse le raisonnement : l’Afrique est en situation de créancier net par rapport au reste du monde depuis des décennies ». Et selon Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD : « La fuite des ressources hors de l’Afrique au cours des trente dernières années – quasi l’équivalent du PIB actuel de l’Afrique – freine le décollage du continent ». Le rapport avait calculé le cumul des flux financiers sortis de manière illicite du continent africain en 30 ans.

Verdict: 1 400 milliards de dollars environ !

Selon la secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, Vera Songwe, la corruption liée à diverses activités frauduleuses en Afrique fait perdre chaque année une somme de 148 milliards de dollars, soit environ 25 % du PIB moyen de l’Afrique.

Espérons que ces rapports contribueront à évacuer une autre idée reçue : celle que l’Afrique n’a pas les moyens de son propre développement…

A lire également sur le même sujet : Evasion fiscale, blanchiment : ce que l’Afrique perd vraiment

1 Le rapport de la Banque mondiale est accessible ici en anglais : http://documents.worldbank.org/curated/en/493201582052636710/pdf/Elite-Capture-of-Foreign-Aid-Evidence-from-Offshore-Bank-Accounts.pdf
2 Rapport toujours accessible via ce lien http://africanetresources.gfintegrity.org/

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