Article de notre collègue à Moscou, Helen Borodina, présente lors du SPIEF 2025 à Saint Pétersbourg
Au SPIEF, l’Association pour le dialogue franco-russe et la Fondation Roscongress ont signé un accord-cadre de coopération dans plusieurs domaines. Cela signifie-t-il que les relations entre la Russie et la France sont en voie de restauration ?
Le 19 juin, un accord-cadre de coopération entre l’Association pour le dialogue franco-russe et la Fondation Roscongress a été signé dans l’espace de réseautage d’affaires Roscongress International du SPIEF.
« Il s’agit d’une étape importante vers le renforcement des relations franco-russes », a commenté le coprésident de l’Association, Sergueï Katasonov. « Pour notre part, nous sommes prêts à fournir une assistance globale et de haute qualité dans la mise en œuvre des projets internationaux de la Fondation », a-t-il assuré.
Comment cette coopération sera-t-elle mise en œuvre ? On sait aujourd’hui qu’elle inclura une coopération dans les domaines économique et humanitaire.
L’Association pour le dialogue franco-russe a organisé une table ronde à Saint-Pétersbourg, au SPIEF. Fondée par les présidents Poutine et Chirac il y a plus de vingt ans, elle mène à bien ses missions dans le contexte mondial actuel difficile. Cette table ronde a été précédée d’une rencontre entre le coprésident de l’Association, Sergueï Katasonov, et Anton Kobyakov, 31 janvier 2025. Kobyakov et Katasonov ont discuté de la participation de représentants français au SPIEF et à d’autres événements internationaux organisés par la Fondation Roscongress. Ils ont accordé une attention particulière au développement de la coopération entre la fondation et l’association, couvrant un large éventail de domaines. Ils ont notamment évoqué les initiatives humanitaires en Russie et en France, la mise en œuvre de projets communs, le développement de la coopération en matière d’investissement et le soutien à l’entrepreneuriat. Ces questions ont figuré au cœur de l’ordre du jour du traditionnel dialogue d’affaires « Russie-France » en marge du SPIEF.
Un mois avant le SPIEF en Saint-Pétersbourg, la XIIIe Réunion de sécurité s’est tenue à Moscou, où la France était présente en la personne de Sébastien Périmony et du colonel Jacques Hogard – les voix de la France qui ont répondu à l’appel de Vladimir Poutine (Valday, novembre 2024) à s’inscrire dans un ordre mondial polyphonique où tous les pays vivent, chacun dans leur souveraineté et en parfaite harmonie les uns avec les autres. Et, bien sûr, en paix.
Le discours de Sébastien Périmony lors de la Réunion de sécurité présente de nombreux parallèles et synchronicités avec les propos tenus lors du panel franco-russe du SPIEF. Examinons-les de plus près…
L’un des événements organisés en marge du SPIEF 2025 rappelle le début du discours de Sébastien Périmony, qui, lors de la XIIIe Réunion internationale des Hauts Représentants pour les questions de sécurité tenu par le Conseil de sécurité de la fédération de Russie les 27 et 29 mai 2025 à Moscou, Russie, avait ainsi commencé : « La France a besoin du monde, le monde a besoin de la France… » On pourrait même dire : « La France a besoin de la Russie et la Russie a besoin de la France », car le 20 juin 2025, une table ronde franco-russe s’est tenue au SPIEF. Quoi ?! Est-ce vraiment possible dans le contexte mondial après le début du Opération spécial militaire et compte tenu de la position adoptée par l’Europe, et la France en particulier, sur le conflit ukrainien ? Périmony a posé une question rhétorique dans son discours : « Pourquoi mon pays est-il du mauvais côté de l’Histoire ? », démontrant brillamment, dans le temps imparti de 5 minutes (Périmony a parlé pendant 6 minutes) à chaque intervenant, le cours de l’histoire et les actions des présidents français – Macron, Hollande et Sarkozy – qui ont conduit la France à une situation de « mort cérébrale ». Cependant, le simple fait que la session Russie-France se déroule au format SPIEF incite à l’optimisme, d’autant plus que l’Association Franco-Russe a connu des hauts et des bas au cours de ses vingt années d’existence. Permettez-moi donc de vous présenter un compte rendu des discussions des intervenants russes et français lors de cette session inédite, afin que nous puissions juger si nous pouvons réellement croire que le « cerveau » de l’Europe – et, en particulier, de la France – est toujours vivant – et, surtout, que son âme et son cœur sont aussi vivants, car c’est seulement alors que nous pouvons oser espérer
Partie 1
LES LEÇONS DES DERNIÈRES ANNÉES : L’ÂME RUSSE DANS UNE APPROCHE GAGNANT-GAGNANT: UN DIALOGUE APRÈS LA CRISE
La session Russie-France était animée par Sergueï Katasonov, coprésident de l’Association « Dialogue franco-russe », vice-président du gouvernement de la région d’Orenbourg chargé des relations avec les instances fédérales.
« Ma dernière participation à cette session remonte à 2019. Bien sûr, nous n’avons pas complètement rompu les liens », a assuré Katasonov aux personnes présentes. « Nous (Russie et France) communiquons. Nous communiquons différemment, sur d’autres sujets, mais d’une manière ou d’une autre, cette communication existe. Durant cette période, nous avons beaucoup appris sur la façon dont la Russie traitait ses partenaires occidentaux, en tant que grand pays à l’âme généreuse et bienveillante, qui pardonne et tolère beaucoup dans ses relations mutuelles. » Et nous avons constaté que lorsqu’une situation critique survenait, nos partenaires, nos amis, ceux que nous traitions bien, adoptaient une position à laquelle nous ne nous attendions pas, que nous n’avions pas envisagée et à laquelle nous n’étions pas préparés. Mais c’est vrai que après toute crise, un dialogue s’instaure toujours. C’est normal, c’est juste. Cependant, nous devons comprendre que les relations qui naîtront après une phase aussi aiguë ne seront plus les mêmes. Nous devons procéder à une sorte d’audit interne et comprendre que ces relations ne doivent pas se fonder sur des gestes grandiloquents et un pardon total, mais sur un véritable bénéfice mutuel, gagnant-gagnant. Nous devons clairement comprendre ce que nous donnons à la France et comment elle doit nous traiter. J’aimerais que la « vaccination » que nous avons reçue ces trois dernières années ne soit pas comme le vaccin contre la Covid, qui doit être administré tous les six mois. Elle devrait être durable, et je voudrais qu’elle le soit pour toujours. Pour que nous puissions repenser la façon dont nous devrions traiter nos partenaires. Aujourd’hui, la session se déroule avec la participation de nos amis français et russes. Hier, nous avons signé le Dialogue franco-russe, que je préside en tant que coprésident. Roscongress a signé un accord hier, et dans le cadre de cet accord, nous organisons ce panel. »
Sergueï Katasonov a ensuite présenté les intervenants. Il a commencé par Gilles Remy, assis à côté de lui, en déclarant : « Voici notre grand ami, qui travaille avec succès en Russie depuis de nombreuses années. Il est PDG du groupe Cifal, Chevalier de l’Ordre de l’Amitié et membre actif de notre association. »
En décembre 2024, l’Association Franco-Russe a fêté son anniversaire important: Il y a 20 ans cette association a été créée par les présidents Vladimir Poutine et Jacques Chirac. Donc, Macron avait lui aussi tenté de créer une association, mais cette initiative n’a pas abouti, car « un enfant doit avoir de bons parents », explique Katasonov. Poutine et Chirac ont créé une structure stable qui fonctionne depuis plus de 20 ans. Le but de l’Association est de maintenir constamment une compréhension mutuelle entre les deux peuples. Non pas entre les pays ou les structures étatiques, mais entre les peuples.
« Je pense que nous réussissons, même dans ces conditions difficiles, parce que nous savons sur qui nous comptons et à qui nous avons affaire ici et là-bas, » – a dit Katasonov.
(Le vice-président de l’Association pour le dialogue franco-russe est Bernard Lozé)
GILLES REMY : L’HISTOIRE DE L’ASSOCIATION, L’URSS, LE NIVEAU DES MILIEUX POLITIQUES FRANÇAIS D’AUJOURD’HUI ET LES COLLABORATIONS AUTOUR DU NUCLÉAIRE COMME LEVIER POUR LE FUTUR
Gilles Rémy a commencé son discours en déclarant : « Je parlerai français ici afin de préserver le prestige de la langue française. Malheureusement, lors des réunions internationales, les dirigeants de diverses entreprises françaises s’efforcent de montrer qu’ils maîtrisent l’anglais, sacrifiant ainsi le statut du français comme langue internationale. Je voudrais donc évoquer la situation actuelle, les perspectives de reprise des relations entre la Russie et la France, qui se trouvent aujourd’hui dans une situation très difficile. Je voudrais commencer par dire que nous vivons une époque paradoxale. Ce paradoxe est qu’il y a quelques décennies, il y avait deux grands blocs sur la planète : le bloc capitaliste, auquel appartenait la France, et le bloc socialiste, dirigé par l’URSS. Mais je me souviens que, dans les années 1980, on pouvait acheter les journaux russes Izvestia et Pravda dans les kiosques des Champs-Élysées, écouter Radio Moscou sur ondes courtes et recevoir la presse soviétique en français sans problème. Et pourtant, nous vivions dans deux systèmes totalement antagonistes ! »
LÀ OÙ LA SOUVERAINETÉ EST PERDUE, TOUT EST PERDU
«Mais il y avait un détail important, » – a fait remarquer Rémy. – « L’Occident était beaucoup plus sûr de lui et ne craignait pas la confrontation d’idées. Deuxièmement, la France était un État souverain, et après son adhésion à l’Union européenne, elle a beaucoup perdu en souveraineté ».
Et encore ! Сela fait écho au discours récent de Sébastien Périmony lors de la XIIIe Réunion internationale des Hauts Représentants pour les questions de sécurité, tenue en mai 2025 à Moscou, lorsqu’il a expliqué comment la France, année après année, a perdu sa souveraineté pendant une longue période, et qu’aujourd’hui, comme de nombreux autres pays européens, elle l’a presque totalement perdue, subordonnant sa volonté et ses intérêts aux banques de la City de Londres et à Wall Street à New York !
« Savez-vous que 80 % du travail du Parlement français consiste à mettre en œuvre des décisions prises à Bruxelles ?! Et cela a un impact sur la politique internationale de la France !» dit Rémy.
Se souvenant de ses premiers voyages en URSS, Rémy a noté : « Nous, les Français, avons toujours eu un statut particulier : c’était la France de Charles De Gaulle, malgré son appartenance à l’OTAN, elle en était toujours une à part. Nous comprenons que dans la situation actuelle, ce rôle ait disparu. Nous n’entendons pas la voix particulière de la France dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. C’est paradoxal et décevant, surtout compte tenu de l’histoire commune de nos pays. »
Nous avons parlé de l’histoire qui lie la Russie et la France, de l’intérêt indéfectible des Français pour la culture et la littérature russes, de la lutte commune des peuples soviétique et français contre le fascisme et le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, de la célèbre escadrille Normandie-Niémen, où les Français et les Russes ont combattu ensemble dans le ciel pour Smolensk et pour le Niémen, lors de la Réunion sur la sécurité dans une interview avec Sébastien Périmony et le colonel Jacques Hogard, le chef de la délégation française, qui s’est également exprimé dans la salle de la séance plénière.
« Bien sûr, il y a un conflit militaire, dont les causes peuvent être discutées sous différents angles, mais l’armée russe n’est pas à proximité des frontières de la France et les armes russes ne tuent pas les Français, alors que c’est l’inverse ! Jacques Attali a dit : « La frontière entre deux États slaves ne pose pas de problème à la France. » Aussi difficile que soit le conflit, il ne peut servir de prétexte à la rupture des relations historiques entre nos pays, une rupture sans précédent ! » a dit Rémy. Il a ajouté que les entreprises françaises continuaient de coopérer avec les entreprises russes et a souligné que « les dirigeants français jouent désormais un rôle qui, historiquement, ne correspond tout simplement pas à leur fonction ! Quant au futur, tout dépendra de la question de savoir quand une solution sera trouvée, quand les négociations auront lieu, combien de temps cela prendra-t-il ? Plusieurs mois, plusieurs années ?..
LE MOMENT VIENDRA… MAIS LES HOMMES POLITIQUES FRANÇAIS D’AUJOURD’HUI SONT-ILS ARMÉS POUR RECONSTRUIRE ?
Quoi qu’il en soit, le moment viendra où il sera nécessaire de renouer et de reconstruire les relations. Avant tout, pour renouer les relations politiques, il faut des hommes politiques, une classe politique à la hauteur. Je pense que chacun conviendra que le niveau des hommes politiques modernes en France et dans les autres pays occidentaux a été très bas ces dernières années.» J’ajouterai : ce sont des années décisives et éprouvantes !
Remy a rappelé l’existence de la Société d’amitié franco-soviétique, qui comptait 40 000 membres et où tous les partis politiques français de l’époque étaient représentés. Tous les Français qui se rendaient alors en URSS connaissaient très bien le pays. Le monde était alors beaucoup plus fermé qu’aujourd’hui, mais les dirigeants français et soviétiques se connaissaient personnellement et se respectaient profondément.
« Je pense qu’aujourd’hui, pas un seul député français ne serait ami de la Russie, pas une seule personne ne prendrait un sac à dos pour partir en Sibérie. Nous avons même eu un ministre de l’Économie qui a déclaré : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ! »
Et c’est encore cette citation du ministre à laquelle Sébastien Périmony a fait référence dans son discours lors de la réunion de sécurité à Moscou. Il a dit : « Rappelons ici la déclaration clairvoyante de Bruno Lemaire, notre ministre de l’économie en 2022 : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » !
Selon Gilles Rémy, le plus terrible est le fait que Lemaire ait cru ce qu’il a dit, le plus terrible est qu’il y ait des gens au sein du gouvernement français qui croient à leur propre propagande !
AVEC LES YEUX DU FUTUR… (et le rôle du secteur nucléaire)
« Lorsque nous parlons du futur, c’est un fait très inquiétant. C’est une sorte de handicap pour l’avenir de nos relations et l’état de notre classe politique », a-t-il déclaré.
Les relations rétablies entre la Russie et la France seront fondamentalement nouvelles. Je pense que la société civile et les entreprises françaises en seront le moteur. Ces 20 à 30 dernières années, ce sont surtout les hommes d’affaires qui ont voyagé de France en Russie, plutôt que les touristes, qui, une fois arrivés, ont découvert la vraie Russie et compris que la Russie n’était pas du tout celle dont les médias français parlaient. Une expertise très importante a été transmise aux milieux d’affaires par les milieux intellectuels et politiques. Je pense que ces nouvelles relations reposent sur une connaissance mutuelle. De plus, il est nécessaire de réfléchir à un nouvel écosystème. Nous ne pouvons pas commencer à le faire avec le MEDEF, qui a rompu toute relation avec la Russie lorsque des départements entiers ont été fermés en Russie ; nous avons besoin de partenaires fiables. Et nous avons un tel partenaire, le « Dialogue franco-russe », qui se poursuit malgré toutes les difficultés existantes et parvient à maintenir les contacts et les échanges. Je ne pense pas que les relations entre les grandes entreprises russes et françaises se rétabliront. La confiance mutuelle, aujourd’hui disparue, joue un rôle essentiel. Certaines entreprises françaises ont quitté la Russie en claquant la porte. D’autres entreprises sont étroitement liées à l’Ukraine et au conflit. Il existe cependant un secteur privilégié : l’énergie nucléaire. Les représentants de ce secteur côté français n’ont pas cessé de coopérer avec la Russie et continuent de développer des projets communs. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de renforcer les relations entre nos pays grâce à l’énergie nucléaire. C’est l’un des derniers secteurs compétitifs de l’économie française.
Et voilà ! Dans son discours et plusieurs interviews accordées aux médias russes et étrangers lors de la 13e réunion internationale des hauts représentants chargés des questions de sécurité, Sébastien Périmony a déclaré à juste titre que si les pays occidentaux – dont la France – ne revenaient pas à la raison (et ne sortaient pas leur cerveau de leur état de « mort cérébrale », ajouterais-je), notre réalité deviendra une troisième guerre mondiale « qui sera inévitablement nucléaire » !
Il y a une certaine ironie dans le fait que l’énergie nucléaire pacifique puisse devenir le lien salvateur qui ramènera la Russie et la France dans une veine d’amitié – et contribuerait à sauver le monde ! Et ce serait certainement une issue favorable, bien préférable à la variante où toute l’humanité périrait dans les flammes impitoyables d’une troisième guerre mondiale nucléaire !
« Je pense donc que la reprise des relations sera compliquée, et ce que nous construirons ensemble sera tout à fait différent de nos relations passées », a conclu Gilles Rémy.
Avant de tourner cette page, faisons encore allusion au discours de Sébastien Périmony prononcé lors de la conférence sur la sécurité à Moscou !
« Aujourd’hui nous sommes à la croisée des chemins, soit les mondialistes vont réussir à imposer leur agenda et conduire le monde à une nouvelle guerre mondiale, qui sera inévitablement nucléaire, soit nous allons organisé un changement de paradigme, une renaissance, basé sur la coopération avec l’Est et le Sud global dans une approche gagnant-gagnant et dans le cadre d’une nouvelle architecture de sécurité et de développement mutuel. »
À suivre…