Notre intervention au Mali : Union des peuples contre l’oligarchie

Par Sébastien Périmony, le 27 janvier 2021

( Veuillez trouver ici également cet article en version anglaise )

Avec les membres du collectif Yéréwolo

« Je ne voudrais pas terminer sans lancer avec vous à tous les peuples frères d’Afrique et du Monde un message de fraternité et de paix. Quels que puissent être les différends qui nous ont opposés, qui nous opposent, nous ne confondrons jamais les peuples, quels qu’ils soient, avec les Gouvernements qui les dirigent parfois contre leur gré. Notre politique est une politique de paix avec tous les peuples du Monde. Au seuil de l’année 1961, nous exprimons le vœu que les forces de progrès et de paix renforcent leur union et concourent à l’édification d’une humanité meilleure. »

« Le Mali demeurera cependant fidèle à sa politique de coopération avec tous les pays sans exception, c’est-à-dire même avec la France.
Nous ne faisons pas de l’anti-France, nous n’existons pas en fonction de qui que ce soit, nous nous refusons à ce sentimentalisme exagéré qui, en la circonstance, n’est que puérilité indigne du peuple mûr et fort qu’est le nôtre. Aujourd’hui que la France a évacué ses bases militaires installées chez nous, que notre indépendance a trouvé son couronnement, nous sommes prêts, en peuple souverain, à poursuivre la normalisation de nos rapports avec la République Française, et cela dans tous les domaines. »

Modibo Keïta, discours du Nouvel an 1961 et discours d’anniversaire de l’Indépendance, 22 septembre 1961.

Le Mali : un paradis devenu un enfer

Nous venons de fêter, ce 20 janvier 2021, les 60 ans du départ des troupes coloniales françaises du Mali. A cette occasion, les membres du collectif Yéréwolo (« Debout sur les remparts ») ont appelé à une grande manifestation pacifique à Bamako, pour exiger le départ des troupes françaises du Mali, qui siègent depuis janvier 2013 avec l’opération Barkhane contre le terrorisme. Cette présence militaire est vue au Mali dans la continuité de celle, occidentale, qui a été mise en place depuis le 11 septembre 2001, avec l’invasion et la destruction de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye, de la Syrie et maintenant de toute la région du Sahel en bord de l’implosion.

Yéréwolo – dont certains membres siègent au sein du Conseil National de Transition (CNT) actuellement au pouvoir dans le pays – fait partie des différentes franges de la société civile qui, avec quelques politiques et militaires, ont fait tomber le régime du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), en août 2020. La population lui reprochait, entre autres, son inaction face à la nécessité de redresser le Mali, devenu l’un des plus pauvres du monde, et sa soumission à la politique française – comme le monde a pu en être témoin le 13 janvier 2020, lors du sommet de Pau organisé par Emmanuel Macron. Le CNT assure la transition en attendant les nouvelles élections, prévues au terme de 18 mois.

Pour cette grande manifestation du 20 janvier, ont notamment été invités, aux côtés du peuple malien : Kémi Séba, président d’Urgences Panafricanistes ; Sékou Tounkoura, activiste malien vivant à New York ; Donald de Mangoubi, militant éveilleur de consciences dans le métro parisien ; Yannick Caroff, des Gilets jaunes constituants du 93 ; et moi même, en tant que représentant du bureau Afrique de l’Institut Schiller. Nous avons eu le plaisir d’être accueillis par Ty Chérie, activiste malienne, mais aussi par Amina Fofana et Adama Ben Diarra (dit « Ben le Cerveau »), tous deux membres de Yéréwolo et du CNT ; ainsi que par Moussa Diarra, ancien député.

Hommage à Modibo Keïta

22 septembre 1960. Le Mali vient de gagner son indépendance. Son premier président, Modibo Keïta, accède au pouvoir et active sans attendre les mesures de souveraineté nécessaires pour faire de cette indépendance une réalité à long terme.

Le 1er octobre 1960, il décide de créer une armée nationale (et non le 20 janvier 1961, qui est officiellement aujourd’hui la Fête de l’armée). Dans son discours de décembre 1961 au stade Konaté, en présence de Félix Houphouet-Boigny (alors président de la Côte d’Ivoire), il légitimera ainsi cette nécessité : « On n’est bien défendu que par soi-même, et c’est pourquoi nous avons notre armée nationale, bien équipée et solidement soutenue par le peuple lui-même. En effet, c’est à un peuple tout entier que revient le devoir de défendre le pays (…) C’est le patriote, le soldat, attaché à la terre natale, c’est le paysan, gardien vigilant du patrimoine de ses ancêtres, c’est la fervente jeunesse, impatiente de hisser la patrie au rang des grandes nations libres, ce sont les femmes mobilisées, désireuses d’assurer à leurs héritiers une vie radieuse sur une terre de liberté, qui permettent au Mali de mener dans la confiance, la lutte pour sa sécurité et son indépendance totale. »

Dès le 11 juin 1960, Modibo Keïta crée la Banque populaire malienne, dans le souci d’adapter la politique du crédit aux objectifs politiques, économiques et sociaux que s’est assigné le gouvernement. L’article 2 des statuts de la Banque populaire stipule qu’elle a pour objet « de consentir des crédits à court terme, moyen terme et long terme aux entreprises et aux organismes ayant une forme ou un objet coopératif ou mutualiste dont l’activité s’exerce dans le domaine de l’agriculture, du commerce, de l’élevage et de la pêche » (1). Pour cela il fera voter par l’Assemblée le Plan Quinquennal du Mali, qui prévoit la mise en place d’industries de consommation (alimentaire, textile, cuir, production de matériaux de construction, etc.).

En quoi consiste donc ce plan quinquennal ? « Le plan de 5 ans qui va bientôt voir le jour est destiné à nous libérer de toute domination économique, à nous dégager de toute emprise des forces d’argent. Au terme de ces 5 ans, nous devrons avoir réalisé les conditions de notre véritable développement, nous devrons avoir jeté les bases d’une économie saine, moderne et nationale. »

Non seulement ce plan a pour but le contrôle efficace de l’Etat sur la production et les échanges mais il entend également assurer :
– la suppression, par le protectionnisme, de « l’anomalie » constituée par le fait d’importer des biens que le pays produit pourtant déjà sur son sol ;
 l’étatisation des secteurs vitaux ;
– la création de coopératives dans les secteurs de la production et de la consommation ;
– la maîtrise du choix et des crédits d’investissement.

« Nous imposerons des conditions à l’installation des industries chez nous, c’est pourquoi nous disons que nous devons être maîtres des crédits d’investissement. Cela nécessite évidemment bien du courage et de la fermeté. » 

A cela s’ajoute la création de la SOciété Malienne d’Importation et d’Exportation (SOMIEX). Toujours selon Modibo Keïta :

« Le gouvernement escompte de l’action de la SOMIEX la réalisation des objectifs suivants :
– sur le plan économique, régulariser et orienter le marché, aussi bien à l’approvisionnement qu’à la production, obtenir des prix plus justes ;
– sur le plan social : harmoniser et stabiliser les conditions de vie sur tout le territoire du Mali, et faire disparaître les iniquités et les disparités de traitement dont souffraient nos frères agriculteurs sous l’ère coloniale. »

Mais ses objectifs pour la souveraineté totale de la République du Mali sont encore plus ambitieux. Dès de la début de son entrée en fonction, il lance un véritable « New Deal » pour la renaissance industrielle du pays. Pour cela il va créer les institutions suivantes :

  • la Régie des Transports du Mali ;
  • la Régie Nationale des Chemins de fer ;
  • la Société d’aviation civile Air-Mali (qui comptera jusqu’à 16 avions, avant sa mise en faillite à cause de la corruption des dictateurs qui lui succéderont) ;
  • la Société Nationale des Entreprises de Travaux Publics ;
  • La Pharmacie Populaire ;
  • la Société « Energie du Mali » ;
  • la Banque Populaire et la Banque de Crédit et de Développement ;
  • la Compagnie Malienne de Navigation.

« Notre volonté est d’être maître chez nous ! » disait Modibo Keïta.

Mais était-ce suffisant ? Non. Dans son célèbre discours du 22 septembre 1961, il fait le point sur ce qui a déjà été réalisé. Voici quelques exemples :

  • les écoles construites pour les populations rurales : 167 nouvelles classes, dont 36 de 6e ; 13 centres d’alphabétisation ;
  • l’ouverture de l’hôpital régional de Ségou, des centres dentaires de Mopti et de Gao, et de 18 dispensaires de villages ou d’arrondissements ;
  • l’agrandissement des hôpitaux du point G et de Mopti ;
  • la création de l’Ecole des infirmiers, infirmières et assistantes sociales ;
  • la création des Ecoles saisonnières d’agriculture dans les zones d’encadrement rural, assurant la formation professionnelle des jeunes paysans ;
  • l’éducation sanitaire des villageois par le Service Civique (hygiène, désherbage et nettoyage des ruelles et pourtours des villages, désinfection ou vidage des eaux stagnantes, etc.) ;
  • la constitution de fédérations sportives à l’échelle du pays. Depuis le 22 septembre 1960, huit fédérations sont créées : celles de football, basket-ball, volley-ball, athlétisme, cyclisme, boxe, judo et sports nautiques.

Comprenant le rôle fondamental de la culture, Modi Bokeïta est déterminé à mettre l’art et la science au service du peuple. Au sein de chaque section de la jeunesse, une troupe théâtrale et folklorique, ainsi qu’un orchestre, sont institués. Un orchestre national est mis sur pied pour interpréter les rythmes maliens et africains et initier les jeunes amateurs à la musique. Afin de détecter les talents, un concours est créé dans le domaine des lettres et une section de recherche scientifique est appelée « Jeune science ».

Nous pourrions énumérer encore longtemps les projets de développement initiés par ce grand leader, qui feraient rêver jusqu’en France aujourd’hui. Par exemple, les enseignants se voient octroyer une prime deux fois et demie plus élevée dans les villages de brousse qu’à Bamako et les grandes villes, afin d’encourager l’éducation dans les monde rural. 43 centres de protection maternelle et infantile, 8 grands centres d’hygiène et 41 centres antituberculeux sont instaurés. Mais aussi 19 000 charrues, 3 000 pulvérisateurs, 6 000 tonnes d’engrais et 25 000 tonnes d’insecticides seront mis à disposition des paysans pour augmenter leur productivité. Sans compter le bitumage des routes, la conserverie de Baguinda, etc, etc.

Seulement voilà : du paradis qu’avait commencé à créer Modibo Keïta, il ne reste plus aujourd’hui qu’un enfer. TOUT a disparu… La ligne de chemin de fer en est le symbole le plus tragique : désaffectée, elle est devenu une décharge publique où l’on voit se consumer, dans les flammes de l’enfer, des centaines de kilos de détritus. Et ce, sous le regard désespérant et désespéré des enfants du Mali, abandonnés, mal nourris, mal soignés… Et privés de tout espoir pour l’avenir.

Le chemin de fer malien devenu décharge publique

Depuis le premier coup d’Etat contre Modibo Keïta en 1968 – qui l’a conduit en prison jusqu’à son assassinat en 1977 – les dictateurs successifs ont systématiquement été soutenus par les réseaux de la Françafrique et détruit son héritage. A l’esclavage politique mis en place par ces marionnettes de l’impérialisme français s’est ajouté l’esclavage monétaire, avec le retour du franc CFA en juillet 1984 – soit 22 ans après la création de la monnaie nationale malienne par Modibo Keïta. Rappelons-nous ce qu’il disait alors :

« Dans quelques heures, exactement à zéro heure du 1er juillet 1962, la République du Mali disposera de sa monnaie nationale, le franc malien, ayant seul, désormais, cours légal et pouvoir libératoire illimité sur l’étendue du territoire national. A cet effet, le privilège de l’émission sera exercé par un Institut d’Emission National, la Banque de la République du Mali, qui détiendra l’ensemble des pouvoirs monétaires exercés auparavant par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Mes Chers Collègues, aussi loin que nous remontons dans le temps, l’histoire nous enseigne que le pouvoir politique s’accompagne toujours et nécessairement du droit régalien de battre monnaie, que le pouvoir monétaire est inséparable de la souveraineté nationale, qu’il en est le complément indispensable, l’attribut essentiel.
Pouvoir politique et pouvoir monétaire ne sont donc, à dire vrai, que les aspects complémentaires d’une seule et même réalité : la souveraineté nationale.

Avoir son autonomie monétaire, disposer des pouvoirs monétaires, c’est, sur le plan interne, pouvoir régler et contrôler comme on l’entend l’émission de la monnaie métallique et fiduciaire, la direction du crédit, aussi bien aux entreprises, privées ou publiques, qu’à l’Etat. »

Modibo Keïta n’est pas mort : la révolution du 20 janvier 2021

Comme l’a mentionné le journal Le Point du 11 janvier 2021 de manière explicite : « Pour la première fois, un sondage montre que la moitié des Français désapprouvent la présence de militaires français au Sahel » présentes sur place depuis 2013.

C’est pour cela que nous avons accepté de participer à la manifestation du 20 janvier à Bamako, visant, rappelons le, à réclamer le départ définitif des troupes françaises au Mali. Pour les Maliens, les choses sont claires : la présence militaire française a pour but de balkaniser le pays. Elle s’inscrit dans la stratégie néo-conservatrice occidentale éprouvée depuis longtemps : s’associer à des minorités – en les armant en échange d’un soutien – afin de démanteler le pays et, à terme, mettre la main sur les ressources gazières, pétrolières et aurifères. Comme l’a expliqué Amina Fofana le 25 janvier 2021, lors de l’émission d’Afrique Média à laquelle nous avons été invités à intervenir à notre retour du Mali :

« Ce n’est pas nouveau ce qui se passe, car nous avons toujours vu l’Etat français à l’œuvre. A chaque fois qu’il y a eu une révolution, l’Etat français a pesé de tout son poids pour pouvoir la récupérer. Mais cette révolution, elle est différente. Elle n’existe pas qu’au Mali, c’est une révolution à l’échelle africaine. (…) Nous connaissons l’étendue maléfique de l’Etat français, son degré de nuisance à travers la corruption et nous pouvons nous y attendre. (…)

« Tout cela a commencé avec Moussa Traoré, qui n’a pas hésité une seconde à faire un coup d’Etat à notre indépendance totale. Et il a travaillé pour qui ? Pour la France ! Puis ATT [Amadou Toumani Touré, nda] est venu, parce que le peuple s’est levé. Et à chaque fois que le peuple se lève, se rebelle, c’est un militaire qu’on fait venir pour tuer la révolution. Donc on n’est pas surpris de ce qui se passe. (…)

« Mais ce qui est pire dans tout ça c’est la partition du Mali, l’Accord d’Alger. Un accord qui a été désavoué par tout le monde. Un accord qui a été pendant le dialogue national, qui devait aller à la révision. Eux ont dit qu’ils voulaient appliquer l’Accord de paix d’Alger, qui n’est pas un accord de paix : c’est un accord de division ! En un mot, c’est la France qui veut s’emparer du sous-sol malien, rester au Mali et couper le Mali en deux, comme ils ont fait au Soudan ou à la conférence de Berlin de 1884-1885 ! C’est ça le véritable problème et c’est ça qu’on ne veut pas. C’est ça que les militaires veulent porter comme projet de société aujourd’hui : diviser le Mali et laisser toute la partie qui a de l’uranium, du pétrole, de l’or en abondance, de l’eau douce, c’est ça que la France veut récupérer. (…)

« L’accord d’Alger considère les rebelles armés. [Il] défend les rebelles armés car de toute façon, c’est la France qui nous a empêchés de rentrer à Kidal. [Elle] veut que le Mali soit divisé et que toute cette partie soit à eux [aux rebelles, nda], comme ça ils vont se faire exploiter par la France. Ils vont rester armés contre nous, ils vont nous déstabiliser tout le temps. (…) Ils veulent que l’armée nationale soit recomposée : que sur chaque 100 militaires, 70 soient ressortissants du nord et 30 ressortissants du sud. C’est eux qui ont amené cette histoire de nord, de sud, de centre. (…) Notre budget national, pendant 20 ans, doit être divisé par trois. A savoir que nous allons travailler pendant 20 ans, et que 40 % de notre économie nationale sera donnée à l’Azawad [territoire du nord Mali], l’autre 40 % à la Gatia [Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés] et nous mêmes, qui représentons plus de 95 % de la population, nous devons nous contenter de 20 % ! Cet accord est dangereux, ce n’est même pas un accord, c’est un crime contre l’humanité. (…) Ce que nous voulons c’est un dialogue inter-malien. (…) Le Mali dans notre Constitution est un et indivisible, nous sommes un peuple, un but, une foi. »

Dès notre arrivée nous avons été invités par l’association Yéréwolo à nous rendre sur la tombe de Modibo Keïta dans le cimetière de Bamako, afin de lui rendre hommage, et expliquer à la presse malienne les raisons de notre venue. Quel honneur pour nous ! Et quel moment émouvant…

Tombe de Modibo Keïta à Bamako

Le lendemain (17 janvier), a été organisée une conférence de presse en notre présence devant une trentaine de journalistes afin de rappeler que cette manifestation n’était pas une manifestation anti-française, mais bien une mobilisation pacifique dans le but de mettre fin à la politique néocoloniale.

Lors de son intervention, Yannick Caroff, Gilet jaune constituant du 93, a déclaré : « Je suis venu vous dire qu’il y a (..) des Français qui en ont marre des dirigeants qui font du néocolonialisme qui ne profite pas à l’ouvrier et aux fonctionnaires français, mais à un petit groupe des gens qu’on appelle les oligarques, qui financent les élections ». Présente au Mali depuis 2013, « l’armée française a été inefficace » a-t-il ajouté, avant d’appeler au départ des troupes françaises. 

Extrait du discours que j’ai ensuite prononcé : « Bonjour à tous, je m’appelle Sébastien Périmony. J’ai fait les premières manifestations des gilets jaunes, et je travaille dans un institut international qui s’appelle l’Institut Schiller, qui a été créé en 1984 à la suite de la mort du mouvement des pays non alignés, qui voulaient à la base la souveraineté des peuples. Malheureusement cela a échoué, mais aujourd’hui je pense qu’on a une chance historique de réunir les peuples du monde contre ce système. Je tenais d’abord à remercier les organisateurs, et en particulier Yéréwolo, pour le combat qu’il mène ici au Mali, le combat du peuple malien, qui rejoint le combat du peuple français. Il faut savoir qu’avec Ty-Chérie, déjà en 2019, nous organisions des manifestations en soutien à l’armée malienne. Et je tiens, au nom de mon pays, à féliciter le courage de l’armée malienne qui fait face à une situation chaotique, qui a été créée malheureusement par mon pays, contre l’intérêt de nos deux peuples. (…) Le peuple français se bat contre son propre gouvernement et en particulier la politique française en Afrique. (…) »

J’ai ensuite mentionné l’état des troupes françaises envoyées sur les théâtres d’opération en Afrique : « Tous ont été victimes des engins explosifs que les djihadistes enfouissent dans le sol. Et victimes aussi du très faible blindage de leur vieux VBL (11,5 mm en protection de la mitrailleuse qui l’emporte). Voilà que ne devrait surprendre personne : un tiers des 55 Français tombés au Sahel (si l’on compte les accidents) ont perdu la vie dans les mêmes conditions. Et l’armée se refuse à avouer le nombre d’amputés, infirmes à vie. » (2)

Puis d’ajouter : « Le CNT a été créé, vous devrez aller jusqu’au bout maintenant. Mais ne l’écoutez jamais, si le CNT ne vous présente pas des projets de développement. (…) Il n’y aura pas de révolution réussie, si vous, vous n’avez pas un projet. » (…) Or « Il y a un projet qui me tient beaucoup à cœur : la remise en eau des lacs Faguibine. (…) Un projet qui pourrait faire du Mali le grenier alimentaire pour l’Afrique de l’Ouest. Si demain l’armée malienne, avec son courage extraordinaire, pouvait sécuriser cette zone, envoyer des jeunes, acheter des outils mécaniques, surcreuser les chenaux pour faire arriver l’eau et redévelopper toute cette région… Il faut voir le Mali avec les yeux du futur. (…) La Chine l’a montré, qui était aussi pauvre que certains pays d’Afrique il y a 30 ans. Aujourd’hui il n’y a plus une personne en situation d’extrême pauvreté en Chine, plus une seule. Ils ont fait des chemins de fer dans tous les coins du pays, ils vont sur la Lune – ou font des trains qui vont à 600 km/h. Et c’est parce qu’ils ont une politique de planification de leur économie. Et d’ailleurs Modibo Keïta, la première chose qu’il a faite quand il a pris le pouvoir : il a créé un ministère du Plan, un plan quinquennal sur 5 ans, pour mettre en place tout ce développement industriel moderne ».

Faire comme Modibo Keïta, ne jamais se contenter de repousser l’ennemi, mais avoir une stratégie de long terme pour bâtir une économie physique viable, avec des infrastructures, une industrie, un système de santé, une production agricole, des ouvriers qualifiés, des enseignants, des artistes, des chercheurs et des ingénieurs, etc. Voilà ce que j’ai essayé de faire passer comme message durant mon voyage.

Suite à mon intervention, le modérateur a exprimé l’importance que représente pour eux une telle convergence internationale des luttes : « (…) On peut [dire de cette intervention] que c’est l’appel à une union sacrée des peuples du monde pour se débarrasser définitivement de l’impérialisme, au bénéfice de la satisfaction totale de tous les peuples du monde (…), d’une unité universelle. Vive l’humanisme. A bas toutes les politiques criminelles qui sont contre les peuples. »

Lors de la conférence de presse. Avec Adama Ben Diarra du collectif Yéréwolo, à droite de Yannick Caroff des Gilets jaunes.

Les jours suivants ont été consacrés à la préparation de la mobilisation du 20 janvier et à la rencontre avec des membres de la société civile. Nous ont notamment reçus : le bureau de la Chambre de commerce et d’industrie et le président du grand marché de Bamako. Ils nous ont fait part des très grandes difficultés que connaissent les ouvriers, les artisans, les commerçants. En cause : la faillite du pays due à la corruption des élites.

Nous avons également eu le plaisir de rencontrer des personnalités telles que le chanteur Salif Keïta, également membre du CNT et soutien de Yéréwolo, ou encore la femme de Modibo Keïta. Avec sa famille, elle a exprimé sa joie de voir réhabiliter enfin l’héritage de son mari. En effet, depuis le coup d’Etat de 1968, tout a été fait pour détruire jusqu’à sa notoriété. Modibo Keïta n’a jamais pris un seul centime de l’argent des Maliens, nous a assuré sa fille adoptive. Il n’avait même pas de maison à lui et passait les week-end à travailler son champ. Ils disait : « Il faut continuer, le dimanche, à fuir les cercles autour du verre et aller à son champ ».

De gauche à droite et de haut en bas : 1) Salif Keïta 2) Chambre de Commerce et d’Industrie de Mali 3) Kémi Séba 4) La femme et la famille de Modibo Keïta

A travers ces rencontres et nos multiples interventions sur les médias et les réseaux sociaux, nous avons pu toucher plusieurs centaines de milliers de Maliens, voire plus…

Tremblement de terre à Bamako et Paris

« Coup de sang à Paris : Selon un ministre malien, le Quai d’Orsay a tapé du poing sur la table. Après ce rappel à l’ordre, Malik Diaw a été à Canossa et a dû publier un long communiqué dans lequel il désavouait les déclarations contre la présence française ».

Voilà ce que rapportait, le 22 janvier, le journal MondafriqueEt de préciser : « Le Quai d’Orsay est intervenu, et avec succès, auprès de la junte au pouvoir à Bamako pour que cesse le « french bashing » d’une partie de la population malienne. »

« A peine avait-il commencé à marcher sur le boulevard de l’indépendance que les lacrymos ont commencé à pleuvoir. (…) Le dispositif policier ressemblait à s’y méprendre à celui mis en place lors des rassemblements de Gilets Jaunes. Dispersion de la manifestation avant même qu’elle ait le temps de se former ; barrage des rues adjacentes du boulevard de l’Indépendance ; course poursuite des petits groupes de jeunes qui se reconstituaient de-ci de-là ; largage de gaz irritants pour dissuader les plus téméraires. La doctrine du très répressif préfet de police de Paris Lallement a tout de même été légèrement tropicalisée, avec un flic tout sourire qui s’est avancé vers un petit groupe en criant « Les honnêtes citoyens doivent partir, on va tirer. »

C’est donc à la surprise générale que la manifestation pacifique du 20 janvier a été non seulement annulée mais réprimée militairement par le président du CNT, pourtant censé être du côté du peuple. Et ce, alors que l’ancien président lui-même, IBK, avait autorisé les manifestations, celles-là mêmes qui avaient conduit le peuple et les militaires à l’évincer du pouvoir. Pour l’organisateur de la manifestation, Adama Ben Diarra de Yéréwolo : « On a chassé IBK partant de nos convictions, si les mêmes pratiques continuent, je vous le jure, il faut que la terre tremble à nouveau à Bamako pour qu’on se respecte dans ce pays. Nous allons nous organiser pour lancer un nouvel assaut pour libérer la patrie ». Déclaration qui sera complétée lors de la conférence de presse qui aura lieu le vendredi 22 janvier, dans laquelle il déclarera : « Nous n’avons pas accepté que nous soyons colonisés et nous n’allons jamais accepter que nous soyons colonelisés » !

Nous avons terminé notre voyage par une émission de deux heures, à l’invitation de la radio Musoya (qui veut dire « femme »), pour faire le bilan de cette mobilisation et maintenir la pression sur les élites maliennes afin que la voix du peuple soit entendue.

Le Mali doit redevenir un paradis. Car comme le disait Modibo Keïta : « Le Mali fut le creuset où vinrent se fondre, en une seule, les cultures africaines, berbère et arabe, et continuera à jouer ce rôle de trait d’union sans perdre ses caractéristiques propres. Nous constitueront ainsi le noyau le plus solide à partir duquel s’édifiera la civilisation universelle ».

Et c’est dans le but d’édifier cette civilisation universelle que l’Institut Schiller, qui prône le dialogue des civilisations et la paix par le développement mutuel, a pu présenter au Mali sa vision du futur de l’Afrique. Une vision en totale concordance avec l’esprit du père fondateur de la nation, l’ancien leader des non-alignés Modibo Keïta, et avec lui, de la jeunesse malienne.

Présentation du dossier de l’Institut Schiller (avec Amina Fofana et Adama Ben Diarra)

Par Sébastien Périmony, le 27 janvier 2021

  1. Retrouvez la plupart des discours de Modibo Keïta sur le site suivant : http://modibokeita.free.fr/discours.php
  2. Voir l’article du Canard enchaîné du 6 janvier 2021 : « Ces généraux qui font pression sur Macron »

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