Par Sébastien Périmony, le 07/09/2018
Pourquoi le reproche fait à la Chine d’une « diplomatie de la dette » est une fraude
« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans le tien ?
(…)
Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère. » Matthieu 7:3-5
L’expression « diplomatie de la dette » – signifiant que la Chine renforce son influence sur les autres nations, en les obligeant délibérément à prendre plus de dettes qu’elles ne peuvent en supporter – a été inventée dans un rapport commandé par le département d’État américain en mai 2018 et écrit par Sam Parker, du Centre Robert et Renée Belfer pour la science et les affaires internationales de la Harvard Kennedy School. Ce rapport a ensuite été utilisé par le Département d’État des États-Unis pour sonner l’alarme dans le monde entier au sujet de l’impact potentiel de l’initiative chinoise Une ceinture une route (Nouvelles Routes de la soie). ( https://www.belfercenter.org/sites/default/files/files/publication/Debtbook%20Diplomacy%20PDF.pdf )
Historiquement, c’est l’Empire britannique qui a été (et est toujours) maître dans le domaine du piège de la dette. Ses méthodes ont été reproduites après 1971, durant l’ère post Bretton Woods, par des institutions contrôlées par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe, telles que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ainsi, en les soumettant à des dettes à fort taux d’intérêts et impayables, ces institutions ont rendu esclaves un grand nombre de nations, dans le but de les piller, de détruire leurs capacités de production et de les obliger finalement à abandonner leur souveraineté.
Le story-telling du « piège de la dette » de la Chine
Un aspect étonnant du narrative de la « diplomatie du piège de la dette » par la Chine est l’absence totale de preuves. Ainsi, parmi les affirmations des journalistes, des réalisateurs de reportages contre la Chine et autres auteurs de rapports académiques, aucune ne résiste à un examen sérieux. Les faits démontrent plutôt le contraire. Par exemple, des recherches bien documentées effectuées par l’Initiative de recherche sino-africaine à la faculté des hautes études internationales (SAIS-CARI) de l’Université John Hopkins, révèlent que la plus grande partie de la dette africaine n’est pas détenue par la Chine mais bien par des institutions internationales telles que le FMI et la Banque mondiale. (https://static1.squarespace.com/static/5652847de4b033f56d2bdc29/t/5b84311caa4a998051e685e3/1535389980283/Briefing+Paper+1+-+August+2018+-+Final.pdf)
Ce document fait état de 133 milliards de dollars d’engagements de prêts chinois en Afrique sur la période 2000-2016 – avec un très gros montant de 30 milliards de dollars en 2016, après la réunion du FOCAC de 2015 à Johannesburg. Si de nombreux pays africains ont une dette chinoise, seuls trois pays (Djibouti, la République du Congo et la Zambie) ont pour plus gros « créancier » la Chine.
Dans une interview avec le Nikkei Asian Review du Japon, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahmoud Ali Youssouf, a déclaré que s’il fallait se méfier de l’accroissement des dettes de Djibouti du fait des investissements chinois, son pays entendait bien aider à promouvoir l’Initiative une ceinture une route de la Chine. Il a déclaré : « Si [l’Initiative] apporte richesse, progrès et développement, nous nous en félicitons. »
S’adressant aux journalistes en marge du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) à Beijing le 5 septembre 2018 et face à la propagande occidentale selon laquelle la Chine endette l’Afrique, le président de la Banque africaine de développement (BAD), le Dr Akinwumi Adesina, a quant à lui déclaré :
« Soyons très clairs, l’Afrique n’a absolument aucune crise de la dette, les pays cherchent désespérément des infrastructures (…) La population augmente, l’urbanisation est là et la marge budgétaire est très réduite » a déclaré le président de la BAD, ajoutant : « Ils s’endettent beaucoup, mais de la bonne manière. » (1) Si le Dr Akinwumi Adesina a rappelé que pour l’ensemble de l’Afrique, le rapport de la dette par rapport au PIB était passé de 22 % en 2010 à 37 % l’année dernière, il a toute de même souligné que ce ratio était nettement inférieur aux 100 ou 150 % des pays à hauts revenu et aux 50 % des pays émergents. (http://www.xinhuanet.com/english/2018-09/05/c_137447525.htm)
Par ailleurs, si les prêts et les investissements directs étrangers (IDE) de la Chine en Afrique sont inférieurs à ceux des institutions occidentales, ils sont davantage orientés vers la construction d’infrastructures, vers l’industrie et l’agriculture, tandis que les investissements occidentaux le sont, pour leur part, principalement vers les services miniers et financiers.
Citons une autre réponse, en France, aux accusations de la presse. Il s’agit de celle, brillante, de Donald Kaberuka, ancien directeur de la Banque africaine de développement, interviewé ce 1er septembre sur RFI (https://www.youtube.com/watch?v=0y4XcnyZQs8). Pour lui il y a clairement dette et dette. Les années 1980-90, par exemple, sont caractérisées par une augmentation de la dette des pays africains, mais ce dans un contexte de croissance économique négative ; les prêts, mal ciblés, n’impulsant pas de surplus de croissance. Au contraire, nous dit-il, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que l’augmentation de la dette des pays africains est corrélée à une augmentation de la croissance de leurs économies. La raison en est simple : les prêts sont des investissements dans l’infrastructure de base, créant ainsi une plate-forme supérieure de développement économique dans laquelle le budget, le commerce, la production… changent d’échelle.
On ne parle plus ici de dette, mais d’investissement productif. En effet ce dernier crée en lui-même les conditions de son remboursement, puisqu’il est un levier permettant de générer des richesses futures. A ce sujet, l’ancien candidat à la présidentielle Jacques Cheminade a proposé un plan de relance par le crédit productif public (https://www.solidariteetprogres.org/documents-de-fond-7/economie/plan-relance-credit-productif-public ) qui s’inscrirait au niveau international au sein d’un nouvel ordre économique gagnant-gagnant initié par Chine, et plus globalement par les BRICS, et ce dans le cadre nécessaire d’un nouveau Bretton Woods (http://www.institutschiller.org/Appel-a-MM-Trump-Poutine-Xi-Jinping-et-Modi-pour-un-Nouveau-Bretton-Woods.html).
Les chiffres et les projets de la politique chinoise en Afrique sont impressionnants. C’est notamment ce que montre l’excellent rapport publié par le cabinet international McKinsey Les lions dansent avec les dragons (http://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/la-danse-des-lions-et-des-dragons.html).
Depuis le tournant du 21e siècle, la Chine a été catapultée de relativement petit investisseur sur le continent, à partenaire économique le plus important d’Afrique. Ainsi depuis lors, le commerce entre l’Afrique et la Chine a augmenté d’environ 20 % chaque année. L’investissement direct à l’étranger (IDE) a augmenté encore plus rapidement au cours de la dernière décennie, avec un taux de croissance annuel vertigineux de 40 %. Au sein des plus de 1000 entreprises auxquelles le cabinet McKinsey s’est adressé, 89 % des employés étaient africains – soit plus de 300 000 emplois pour les travailleurs autochtones.
Ainsi, si l’on projette linéairement ces données sur les 10 000 entreprises chinoises présentes en Afrique, on peut supposer que les entreprises chinoises emploient déjà plusieurs millions d’Africains.
Près des deux tiers des employeurs chinois offrent une formation professionnelle.
En 2015, les engagements chinois en faveur de l’infrastructure en Afrique s’élevaient à 21 milliards de dollars – plus que le total cumulé du Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA), dont les membres sont : la Banque africaine de Développement ; la Commission européenne (CE) ; la Banque européenne d’investissement (BEI) ; la Société financière internationale ; la Banque mondiale et les pays du Groupe des huit (G8).
Enfin, il est utile de rappeler quelque uns des objectifs qui ont été fixés par la FOCAC 2018 à Beijing, et pour une partie desquels 60 milliards de dollars (52 milliards d’euros) seront alloués par la Chine à l’Afrique d’ici 2021 : la coopération sur les questions infrastructurelles, environnementales, industrielles et agricoles (avec un objectif d’autosuffisance alimentaire du continent d’ici à 2030) ; mais aussi culturelles, sécuritaires et sanitaires (avec un objectif de 50 pôles d’aide médicale et la poursuite de la formation des médecins africains) ; et enfin, l’aide pour permettre à l’Afrique de développer son exportation de produits manufacturés (et non ses matières premières)vers la Chine. Parmi les 52 milliards d’euros :
– 13 milliards seront sous forme de prêts à 0 % et d’aides sans contreparties ;
– 17 milliards seront sous forme de prêts à bas taux, « sans aucune conditionnalité » ;
– 8,6 milliards pour la formation.
Enfin Xi Jinping a annoncé que la Chine exempterait certains pays africains des dettes en souffrance sous forme de prêts sans intérêts, arrivant à échéance fin 2018.
De qui se moque-t-on ?
(1) Propos rapporté par Xinhua le 5 septembre 2018.
Sébastien Périmony