Russie – Chine : coopération bilatérale en Afrique

Suite à de nombreuses questions sur le sujet, je rend public ma traduction partielle du document « Chine – Russie : coopération bilatéralen Afrique » qui a longtemps était réservée aux abonnés. Et aussi car on entend tellement de conneries sur le sujet par des gens qui ne connaissent rien ! (Date : 2021) Une vidéo sur ce sujet en bonus à la fin de l’article.

Par Sébastien Périmony.

LA RUSSIE ET LA CHINE RÉVÈLENT LEUR STRATÉGIE COMMUNE POUR L’AFRIQUE

En juin 2021 a été publié un rapport de 66 pages rédigé conjointement par le Conseil russe des Affaires internationales (RIAC en anglais) et l’Institut d’études internationales et stratégiques de l’Université de Pékin (ISS) (1) . Groupe de réflexion universitaire et diplomatique, le RIAC est l’institut le plus influent de Russie sur les questions internationales. Il a été fondé en 2010 par le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, le ministère de l’Éducation et des sciences, l’Académie des sciences de Russie, l’Union russe des industriels et des entrepreneurs et l’agence de presse russe Interfax. Son directeur général, le Dr. Andréï Kortunov, a participé à la conférence internationale de l’Institut Schiller le 26 juin dernier (2) . Institut Schiller dont l’auteur de cette lettre est membre du bureau Afrique. De son côté, l’Institut d’études internationales et stratégiques de l’Université de Pékin est une université publique située à Pékin. Il a été créé en octobre 1964 sous les auspices du Premier ministre Zhou Enlai, pour améliorer la formation en langues étrangères. Ayant décidé de traduire en français une partie de ce document d’importance, nous lui consacrons cette semaine un dossier spécial dans le contexte de notre lettre stratégique. «  Ce rapport s’efforce de comparer les points de vue de la Russie et de la Chine sur l’état actuel des affaires en Afrique et sur leurs perspectives d’avenir. Les experts ont tenté de mettre en regard les stratégies menées par les deux pays et d’évaluer les possibilités de développer la coopération sino-russe sur le continent. Les positions présentées dans ce rapport reflètent les différentes expériences de la Russie et de la Chine en Afrique.

« Le rapport est composé de trois parties, analysant respectivement et de manière exhaustive l’expérience, les positionnements politiques et les outils utilisés par les deux pays dans leur politique étrangère. (…) La crise de 2020 en Afrique, comme dans la plupart des pays du monde, est associée à la pandémie de coronavirus, et est accompagnée d’un ralentissement économique et d’une forte baisse des prix des hydrocarbures, principal poste d’exportation. Pour les chercheurs russes, ce contexte signifie un rôle plus limité de la Russie en Afrique, et plus visible dans le domaine de la sécurité que dans celui du développement. Pour les chercheurs chinois, l’économie africaine affichait une croissance régulière et une volonté d’industrialisation avant la pandémie de Covid-19, ainsi qu’un processus de transfert du pouvoir pacifique dans de nombreux pays. Ces circonstances leur permettent d’envisager avec un certain optimisme les perspectives d’avenir en terme de développement du continent.

« La deuxième partie du rapport évalue les intérêts et les objectifs de la Russie et de la Chine en Afrique. Les chercheurs chinois ont défini quatre principes d’interaction de la Chine avec l’Afrique qui, selon eux, distinguent les relations sino-africaines du colonialisme historique et des approches occidentales modernes. La Chine est prête à envisager la possibilité d’une coopération multilatérale en Afrique pour renforcer la stabilité et le développement du continent. Les chercheurs russes ont relevé que, malgré le fait que 2019 a été un tournant dans les relations russo-africaines, la Russie ne dispose pas d’une stratégie unique de coopération avec l’Afrique. Néanmoins, la déclaration finale du sommet Russie-Afrique de 2019 peut être considérée comme une sorte de point de référence. La Russie et l’Afrique prônent systématiquement la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays et défendent la priorité de la souveraineté nationale. La Russie cherche à renforcer la coopération politique avec les États africains afin de se coordonner dans leurs positions et développer des approches face aux changements qui se produisent sur la scène internationale. « La troisième partie du rapport examine les perspectives et les opportunités de la coopération bilatérale en Afrique. La Russie et la Chine ont des intérêts communs en Afrique. Les experts des deux pays soulignent que l’espace pour la coopération sino-russe sur le continent est beaucoup plus large que l’espace pour leur compétition. Les efforts conjoints de la Chine et de la Russie pour maintenir la paix et la stabilité en Afrique et promouvoir le développement de l’économie africaine répondent aux intérêts stratégiques des deux pays. (…) Il n’y a pas de différences inconciliables entre les deux pays. La Russie et la Chine ne sont pas en concurrence pour l’influence en Afrique, mais peuvent, au contraire, compléter leurs efforts respectifs.

«  Ceci est particulièrement important aujourd’hui, alors que des forces internationales influentes font tout ce qu’il faut pour affaiblir le partenariat stratégique Russie-Chine et exacerber les différences entre Moscou et Pékin sur certaines questions, et, si une telle opportunité se présente, positionner les deux pays l’un contre l’autre. L’Afrique semble être l’un des domaines les plus prometteurs pour un tel dialogue élargi. Il est difficile de surestimer le rôle du continent africain dans la situation actuelle, et encore plus dans les futurs développements politiques et économiques mondiaux. Il y a toutes les raisons de croire que l’Afrique est en mesure de devenir soit le cœur des problèmes décisifs de l’ordre mondial du XXIème siècle, soit un élément incontournable de leur résolution.

« Les problèmes au Moyen-Orient peuvent facilement s’étendre à l’Afrique dans un avenir proche. Le continent africain étant beaucoup plus grand que le Moyen-Orient, les conséquences de la déstabilisation continentale imminente pour le système international seraient plus dévastatrices que celles de l’actuelle déstabilisation régionale. Dans le second scénario, l’Afrique du futur peut être comparée à l’Asie de l’Est d’aujourd’hui, c’est-à-dire au principal moteur de l’économie mondiale.

« La confrontation géopolitique et économique croissante entre les États-Unis et la Chine pourrait donner aux pays africains un avantage tactique supplémentaire, mais ses conséquences seront au global d’avantage négatives que positives, car elles feront passer les États africains d’acteurs politiques mondiaux à des objets potentiels de concurrence, voire de confrontation.

« L’Occident percevra largement le continent africain comme un problème plutôt que comme une opportunité. Les ressources que l’Occident sera prêt à fournir à l’Afrique sous forme de programmes d’aide technologique et humanitaire, de préférences commerciales, de prêts subventionnés, etc. diminueront au lieu de s’accroître, etc.

« Nous ne pouvons toutefois pas exclure totalement la possibilité que l’Afrique réalise une puissante percée économique et sociale, remporte des succès majeurs dans la transition vers le nouveau paradigme technologique et la stabilité sociale, et dans la modernisation des institutions étatiques. « Il est impossible de moderniser les États africains avec succès sans réformer le système économique international et ses institutions. Il faut un nouveau « grand pacte » entre le Nord et le Sud, qui servira en premier lieu les intérêts de l’Afrique.

«  Le rôle de la Russie dans la transformation de l’Afrique sera inévitablement limité mais pas nécessairement marginal ; selon toute vraisemblance, ce rôle sera plus visible dans le domaine de la sécurité que dans celui du développement. «  La baisse des investissements directs étrangers (IDE) devrait être moins forte, mais elle aussi, pourrait atteindre 35 % d’ici la fin de l’année.

«  Les économistes prévoient une baisse mondiale de 20  % des virements électroniques effectués par les migrants des pays développés vers les pays en développement, ce qui se traduit par des pertes de plus de 100 milliards de dollars. «  L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) estime la baisse du flux touristique à 20-30 %, soit une baisse de 300 à 450 milliards de dollars dans les revenus du secteur touristique de l’économie mondiale. Le tourisme étranger reste l’une des principales sources de revenus de plusieurs États africains (Maroc, Afrique du Sud, Tunisie, Égypte, Zimbabwe), et leurs pertes imminentes se chiffreront en milliards de dollars.

« Si les États africains ne parvenaient pas à trouver un accord avec leurs créanciers, nous pourrions assister à une réaction en chaîne de défauts de paiement nationaux avec des conséquences imprévisibles pour l’ensemble du système financier international. « Pendant longtemps, pour de nombreux États africains, les exportations de sources d’énergie et d’autres matières premières sont restées le seul lien stable avec l’économie mondiale.

« Pourtant, une stabilisation de la consommation mondiale de pétrole en 2020-2021 au niveau, disons, de 90 % de ses chiffres d’avant la crise entraînera des conséquences très graves pour les exportateurs de pétrole africains (Nigeria, Angola, Libye, etc.).

« Cela ne signifie pas que le projet de Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECA) est voué à l’échec. Toutefois, la transformation de la ZLECAF en une union d’intégration en tant que telle à l’échelle du continent n’est guère possible dans un avenir prévisible, en raison du niveau relativement faible des échanges mutuels et de l’incapacité à mettre en place des chaînes manufacturières et technologiques à part entières.

«  Actuellement, l’Afrique est obligée d’importer chaque année l’équivalent de 35 milliards de dollars en denrées alimentaires. Ces importations devraient être de 110 milliards de dollars d’ici 2025. « Il convient de tenir compte du fait que les élites africaines sont de plus en plus déçues par les modèles occidentaux de démocratie libérale, car l’Occident n’a pas été capable de montrer un modèle efficace pour combattre la pandémie. La déception à l’égard des modèles de développement libéraux alimentera les sentiments anti-occidentaux croissants et inévitables, tandis que les principaux États occidentaux se concentreront de plus en plus sur leurs problèmes intérieurs et limiteront leur participation à la résolution des problèmes de l’Afrique.

«  En outre, dans le monde de l’aprèscrise, les États-Unis et les États de l’Union européenne, conscients de leurs capacités limitées et confrontés à de nombreux défis intérieurs quant au libéralisme politique, s’ils sont les plus susceptibles d’avoir un impact sur l’Afrique, ne tenteront probablement plus de mettre en œuvre leur stratégie autrefois à la mode d’ »exportation de la démocratie ». Le point de vue de la Chine

«  Pendant des décennies, l’Afrique a été perçue en Occident comme un lieu d’échec et de crise, à l’ombre de l’ère de la mondialisation, et donc un fardeau pour le développement et un défi moral pour le reste du monde. À l’époque coloniale, les puissances occidentales ont imposé des institutions politiques et économiques extractives, ont perturbé l’unification commerciale par des frontières artificielles et ont retardé les développements industriels et technologiques en Afrique. Depuis leur indépendance, dans les années 1970, de nombreux pays africains se sont engagés dans une voie de développement et ont été contraints de mettre en œuvre des réformes d’ajustement structurel à partir des années 1980, avec un succès limité. L’Afrique a subi les effets négatifs de la concurrence entre les superpuissances pendant la guerre froide et a entretenu des liens asymétriques et inégaux avec les anciennes puissances coloniales – un modèle que Kwame Nkrumah a qualifié de « néocolonialisme ». En parallèle, la solidarité et l’amitié de la Chine avec les pays africains sont apparues à l’époque de la guerre froide. Dans le même temps, avec l’accélération de la mondialisation sous l’influence du consensus de Washington, les pays industrialisés, en particulier les États-Unis, ont reconstruit les chaînes industrielles mondiales et ont délocalisé les industries à forte intensité de main-d’œuvre vers des régions où les coûts sont moins élevés (comme l’Asie de l’Est). En raison de sa longue histoire de colonisation, l’économie africaine, souffrant d’un manque aigu d’infrastructures modernes, de bases industrielles sophistiquées et de solides marchés de consommation, a peu profité de la délocalisation des chaînes industrielles mondiales.

« Au lieu de cela, le continent est devenu un lieu où les pays occidentaux pouvaient exporter la démocratie et l’idéologie. En revanche, la Chine, autrefois fervente participante de la guerre froide en Afrique, est revenue en force sur le continent. Le retour de la Chine sur le continent africain depuis les années 1990 et le début des années 2000 s’est principalement centré sur les opportunités commerciales (ressources, commerce et investissements) et la Chine s’est abstenue d’imposer des conditions politiques et d’intervenir dans les affaires intérieures.

«  À mesure que l’importance politique, économique et stratégique de l’Afrique augmente, les gouvernements et les entreprises du monde entier se précipitent sur le continent. Désormais, les partenaires de l’Afrique ne sont pas seulement les puissances occidentales traditionnelles et la Chine, mais aussi et surtout des économies émergentes comme la Russie, l’Inde, le Brésil, la Turquie, la Corée du Sud, l’Indonésie et la Malaisie. Cela a créé ce que l’on appelle la troisième vague de la « ruée vers l’Afrique » (après le Congrès de Berlin à la fin du XIXe siècle et la guerre froide au XXe siècle).

« Mais cette fois, si l’Afrique gère la « ruée vers l’Afrique » de manière judicieuse, les Africains eux-mêmes pourraient être les premiers à bénéficier d’une aide ; les Africains eux-mêmes pourraient être les principaux gagnants. « L’Afrique devra résister à l’impact immédiat de la récession ; son engagement dans la régionalisation, la construction d’infrastructures et l’industrialisation est irréversible. La menace de la dette en Afrique est réelle, mais elle a été exagérée dans le discours international pour discréditer l’influence croissante de la Chine en Afrique.

«  Plus récemment, cependant, les prêts chinois et le financement du développement (surtout dans le secteur des infrastructures) ont souvent été accusés de créer des « pièges à dettes » en Afrique. La menace de la dette est réelle en Afrique. Par exemple, en 2018, cinq pays africains étaient en situation de surendettement (Tchad, Mozambique, Soudan du Sud, Soudan et Zimbabwe) et 11 étaient confrontés à un risque élevé de surendettement. Cependant, les statistiques ont montré que pour la majorité des pays en situation de surendettement, les prêts chinois ne sont pas le facteur principal. Selon l’initiative de recherche Chine-Afrique (SAIS, Université Johns Hopkins), la Chine a accordé des prêts d’une valeur totale de 148 milliards de dollars à 54 pays africains entre 2000 et 2018. Jubilee Debt Campaign a estimé que les prêts chinois en Afrique se situent entre 72 et 121 milliards dollars US, ce qui représente environ 20 % de la dette extérieure des pays africains, tandis que les prêts du secteur privé et des institutions financières multilatérales représentent respectivement 32 % et 35 %. Les prêts chinois sont concentrés dans plusieurs pays africains, dont la plupart ne sont pas en situation de surendettement. Entre 2000 et 2017, trois pays africains (Angola, Éthiopie et Kenya) ont reçu plus de 8 milliards de dollars de prêts de la Chine et quatre (République du Congo, Soudan, Zambie, Cameroun) ont reçu entre 5 et 8 milliards de dollars US. Parmi les 15 pays identifiés par le FMI comme présentant un risque élevé de surendettement, seuls trois (Djibouti, Zambie et Cameroun) doivent plus de 24 % de leur dette extérieure à la Chine.

« Ce n’est que ces dernières années que les chercheurs et décideurs ont commencé à croire que l’industrie légère et les industries à forte intensité de main-d’œuvre pouvaient s’implanter en Afrique.

«  Selon le rapport 2017 de McKinsey & Company, il existe au moins 10 000 entreprises chinoises en Afrique, dont 90 % sont privées et un tiers dans le secteur manufacturier. L’Afrique compte actuellement environ 10 millions d’emplois dans le secteur manufacturier. Au fur et à mesure que la Chine industrialise, elle libérera 85 millions d’emplois manufacturiers dans le monde en développement, ce qui donne à l’Afrique une occasion historique d’attirer des investissements et de créer des emplois manufacturiers. Si elle y parvient, l’Afrique pourrait devenir la « prochaine usine du monde ». Des pays comme l’Éthiopie, le Rwanda, le Kenya et le Nigeria ont déjà enregistré une forte croissance de leur secteur manufacturier.

« Alors que la situation générale en matière de sécurité s’améliore en Afrique, la région du Sahel continue d’être victime du terrorisme, des guerres et de la violence. Selon les Nations Unies, la population déplacée est passée de 3,2 millions en 2018 à 4,2 millions en 2019 dans la région. La Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Burkina Faso et le Niger sont les cinq pays les plus touchés.

« L’Alliance pour le Sahel, lancée en 2017 par la France, l’Allemagne et l’Union européenne, a promis de financer plus de 600 projets dans la région, pour un montant total de 9 milliards d’euros. Dans le même temps, la force conjointe du G5 Sahel a un grand besoin de financement pour mener à bien ses opérations militaires et non militaires. En 2014, elle a budgétisé 423 millions de dollars pour son fonctionnement. Seul un quart du total a été reçu à la mi-2018, ce qui a entraîné des retards et des lacunes dans la formation et l’équipement de l’organisation…

« Selon le deuxième document de politique africaine de la Chine publié lors du sommet de Johannesburg du FOCAC en 2015, la Chine défendra «  les valeurs d’amitié, de justice et d’intérêts partagés, l’adhésion aux principes de sincérité, des résultats pratiques, l’affinité et la bonne foi. » «  Les quatre principes décrits ci-dessus caractérisent l’engagement de la Chine en Afrique et différencient les relations Chine-Afrique du colonialisme historique et des approches occidentales contemporaines.

« Le gouvernement chinois a jusqu’à présent mis en pratique trois principes de manière relativement cohérente lorsqu’il interagit avec les pays africains. Il s’agit de (1) le principe d’une seule Chine, (2) l’inconditionnalité des prêts et de l’aide préférentielle, et (3) la non-ingérence dans les affaires intérieures. Bien que la Chine ait traditionnellement adopté une approche bilatérale dans sa diplomatie envers l’Afrique, le gouvernement chinois a récemment déclaré qu’il saluait les actions constructives de la communauté internationale en faveur de l’Afrique et qu’il était prêt à renforcer la coopération sur la base du principe « proposé par l’Afrique, accepté par l’Afrique et dirigé par l’Afrique ».

« Ses échanges avec l’Afrique sont passés de 10  milliard de dollars  US en 2000 à 200 milliards de dollars en 2012, un chiffre stupéfiant. « La Chine obtient un tiers de son pétrole et de ses ressources naturelles d’Afrique. En matière d’investissements, les IDE annuels de la Chine vers l’Afrique s’élèvent à plus de 3 milliards de dollars US. D’ici 2020, le stock cumulé d’IDE de la Chine en Afrique aura atteint 110 milliards de dollars US, ce qui fait également d’elle le premier investisseur en Afrique. «  Deuxièmement, l’infrastructure et l’industrialisation sont devenues les deux domaines les plus prometteurs de la coopération économique Chine-Afrique, avec un immense potentiel de transformation du paysage économique africain. Déjà en 2020, la Chine a aidé l’Afrique à construire plus de 6 000 km de voies ferrées, 6 000 km de routes, 20 ports, 80 grandes centrales électriques, 130 installations médicales et hôpitaux, 45 stades et 170 écoles, sans parler des autres bâtiments publics. Outre les routes et les chemins de fer, l’entreprise chinoise Huawei a par exemple participé à la construction d’un certain nombre d’autres infrastructures et aide activement 40 pays africains à déployer des réseaux de communication du XXIe siècle.

«  Troisièmement, la santé publique sera probablement le prochain domaine central de la coopération sino-africaine suite à la pandémie de Covid-19. La Chine fournit depuis longtemps un soutien médical à l’Afrique. Depuis les années 1960, elle a envoyé plus de 210 000 médecins et travailleurs médicaux dans 42 pays africains et un total de 2 200 000 000 patients africains (en temps réel) ont été soignés par des équipes médicales chinoises. Pendant la pandémie de coronavirus, la Chine a immédiatement partagé son expérience avec les CDC africains, envoyé des équipes d’experts dans au moins 12 pays africains et fourni des équipements et du matériel médical à au moins 50 d’entre eux.

« La Chine a créé 23 centres de démonstration en technologies agricoles afin de transférer les technologies agricoles chinoises et promouvoir l’agro-industrie en Afrique. « Sur l’enjeu de l’éducation, la Chine accueille environ 50 000 étudiants africains par an, ce qui la place au deuxième rang, après la France, des destinations les plus importantes pour les étudiants africains. Au cours des cinq dernières années, la Chine a également fourni des programmes de formation de talents à plus de 200 000 Africains.

« La Chine critique ouvertement l’intervention militaire de la France au Mali. L’engagement de la Chine au Mali comprend de grands projets de développement, des programmes de bourses d’études et de formation et la participation à l’opération de maintien de la paix de la MINUSMA. La Chine a fourni 426 membres déployés au Mali ; seuls 170 sont des soldats. Les autres sont principalement des ingénieurs et du personnel médical chargés de la construction d’hôpitaux au Mali. Le point de vue de la Russie « L’année 2019 a marqué un tournant dans les relations entre la Russie et l’Afrique.

«  Le président russe, dans une interview accordée à l’approche [du Forum Russie-Afrique] (…), a déclaré : « (…) Nous ne subordonnons pas notre soutien ni les projets de développement conjoints que nous octroyons à des conditions préalables, à la satisfaction de conditions politiques ou autres, ni à des préférences commerciales et économiques prétendument « exclusives » mais en réalité asservissantes (…). Nous n’imposons pas nos vues, en respectant le principe des solutions africaines aux problèmes africains proposées par les Africains eux-mêmes. »

« Sur le plan politique, la Russie et les États africains ont un engagement similaire en faveur d’un ordre international polycentrique. Autrement dit la Russie et le continent africain préfèrent un monde avec des centres multiples de pouvoir, en interaction les uns avec les autres, chacun évoluant sur sa propre voie en terme de développement politique, économique et social ; et non deux ou trois centres de pouvoir dont les interrelations (qu’elles soient amicales ou hostiles) déterminent les vecteurs de développement de toutes les autres régions.

« La Russie et l’Afrique prônent toutes deux la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays et la priorité de la souveraineté nationale. Cette question est très importante pour les États africains, qui se méfient du néocolonialisme. La Russie n’a pas de passé colonial et a toujours soutenu les États africains dans leur lutte anticoloniale ; par conséquent, les États africains considèrent la Russie comme protectrice des souverainetés.

« Par exemple, lors de la session de l’Assemblée générale de l’ONU du 19 décembre 2017, 70 États ont soutenu la résolution anti-russe de l’Ukraine, promue de manière agressive par les États-Unis, tandis que 76 États se sont abstenus et 26 ont voté contre. Seul trois États africains ont voté « pour » la résolution (le Botswana, le Liberia et les Seychelles). 33 États se sont abstenus, dont l’Algérie, l’Angola, l’Égypte, l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Mozambique et le Nigeria, tandis que 12 États n’ont pas voté, dont Djibouti, le Maroc, la Somalie et la Tunisie.

« Un protocole d’accord sur la coopération économique entre la Commission Économique Eurasienne (CEE) et la Commission de l’Union Africaine (UA) a également été signé lors du sommet. En 2018-2019, les relations Russie-Afrique se sont visiblement intensifiées. Même si, pour des raisons historiques, elles sont encore quelque peu biaisées  : l’Afrique du Nord représente encore 80 % du chiffre d’affaires du commerce extérieur russe avec les États africains. L’instauration de liens commerciaux et économiques avec l’Afrique subsaharienne reste un objectif important.

«  Récemment, la coopération entre la Russie et l’Afrique dans le domaine de l’agriculture et de l’agroalimentaire s’est activement développée. La Russie s’intéresse aux produits issus de l’agriculture tropicale (café, thé, cacao, agrumes). Les États africains ont augmenté leurs ventes de fruits et légumes à la Russie, remplaçant largement les produits des États de l’UE. En outre, la Russie a activement exporté ses propres produits agricoles vers l’Afrique (les céréales restent le principal produit exporté, mais la Russie n’est pas la seule à le faire). Le ministère de l’Agriculture prévoit de multiplier par deux les exportations de farine, d’aliments pour animaux et d’engrais, de produits d’élevage, de machines et d’équipements agricoles d’ici 2024-2025.

« La Russie développe également un intérêt pour l’exportation de ses services et de ses technologies, notamment dans les solutions numériques, les savoir-faire dans la construction de centrales nucléaires et d’autres infrastructures (centrales hydroélectriques, usines, industrie légère et entreprises d’agroalimentaire), les technologies de raffinage de pétrole et de construction d’oléoducs, ainsi que les technologies et services liés au spatial (tels que le lancement des satellites des États africains).

«  L’Afrique a une énorme «  faim d’infrastructures » : la moitié de la population du continent n’a pas d’accès régulier à l’électricité. L’expérience de Rosatom peut être très sollicitée là-bas, car l’entreprise est le leader mondial de la construction de centrales nucléaires. L’Afrique veut développer l’énergie nucléaire : sur les 30 États qui prévoient de construire des centrales nucléaires, 10 sont africains. Rosatom a contribué à construire des réacteurs de recherche en Algérie, en République démocratique du Congo (RDC), en Libye, au Maroc et au Nigeria.

« L’agence a récemment signé des accords pour agir en tant que consultant auprès des gouvernements de la République du Niger, de la République de Guinée et de la RDC, et participer au financement de programmes de développement local. Le Niger cherche à financer la construction d’un oléoduc de 1 300 km. La Guinée et la RDC cherchent à renforcer leurs infrastructures de transport, notamment les chemins de fer et les routes.

« En 2015, le Centre des exportations russes a été créé dans le but de promouvoir les les exportations russes de produits non énergétiques. Ces dernières années, les exportations russes hors ressources et hors énergie ont en effet augmenté : en 2019, 84 % des exportations russes vers les États d’Afrique du Nord étaient des exportations hors ressources et hors énergie, et pour l’Afrique subsaharienne, le chiffre est d’environ 67 %.

«  Au cours de la période 2010-2018, le chiffre d’affaires commercial de l’UEEA (Union Economique Eurasiatique) avec les États africains a été multiplié par près de 2,7, pour atteindre un total de 21,7 milliards de dollars US à la fin de l’année 2018, mais cinq États africains (Algérie, Égypte, Maroc, Nigeria et Tunisie) représentent près de 80 % des exportations des États de l’UEEA.

« La coopération militaire et militaro-technique entre la Russie et l’Afrique revêt également une importance stratégique. La Russie s’efforce d’aider les États africains à obtenir la sécurité dont ils ont besoin pour leur développement. La Russie a conclu des accords de coopération militaro-techniques avec 40 États africains et, a, avec certains d’entre eux, également conclu des accords de coopération en matière de défense. En octobre 2019, les États africains avaient commandé pour 14 milliards de dollars d’armes russes.

« Si l’instabilité régionale en Afrique s’intensifie, la Russie pourrait bénéficier de certaines opportunités tactiques supplémentaires, notamment en raison de la montée probable des sentiments anti-occidentaux dans les États africains. Ces opportunités se multiplieront si les États-Unis et l’Union européenne manifestent moins d’intérêt pour l’Afrique, compte tenu de leurs propres problèmes intérieurs croissants.

« Il serait incorrect de considérer les intérêts de la Russie en Afrique comme étant en principe incompatibles avec ceux de l’Occident, d’autant plus que la notion même d’ »Occident » par rapport au Sud suscite de nombreuses questions. Les positions de la Russie et de l’Union européenne sont plus proches l’une de l’autre que de celles des États-Unis sur toute une série de problèmes africains.

La coopération Russie-Chine en Afrique « Au niveau politique, la Chine et la Russie ne sont pas des concurrents stratégiques. Les deux parties considèrent l’Afrique comme un élément essentiel pour atteindre les objectifs stratégiques nationaux de l’autre partie et établir un ordre international équitable, raisonnable et multilatéral.

«  Premièrement, l’économie et le commerce. La différence structurelle entre les échanges Chine-Afrique et Russie-Afrique est relativement importante, et la Chine et la Russie ne sont en concurrence que dans certains domaines.

« Deuxièmement, le domaine de l’énergie. Dans ce domaine, la Chine et la Russie ont un certain degré de concurrence. Cependant, en ce qui concerne la politique énergétique, la Chine et la Russie ont des niveaux de développement et des objectifs différents. Ainsi, il y a plus de place pour la coopération entre la Chine et la Russie que pour la concurrence dans le domaine de l’énergie en Afrique.

« Troisièmement, la coopération en matière de technologie militaire. Pendant une longue période, la technologie militaire de la Russie a été plus avancée que celle de la Chine. Ainsi, la Russie est plus compétitive que la Chine dans le domaine des ventes militaires. La croissance rapide de la technologie militaire de la Chine augmentera la concurrence avec la Russie dans certains domaines du marché militaire en Afrique. Toutefois, cette concurrence sera limitée.

« La Chine et la Russie ont de larges intérêts communs en Afrique, et le potentiel de coopération est plus large que celui de la concurrence. «  Les maladies épidémiques, telles que le paludisme, le virus Ebola, le VIH/sida, le virus Zika, etc. ont menacé la santé publique en Afrique. La mise en place d’un système africain de santé publique est une tâche urgente dans cette région.

« La Chine, la Russie et l’Afrique du Sud ont convenu que les BRICS et la Nouvelle Banque de développement présentaient des opportunités stratégiques pour une coopération et un développement accrus. « Les BRICS ont permis à la Chine, à la Russie et aux pays africains de travailler ensemble. Russie, Chine et Afrique du Sud considèrent les BRICS comme un nouveau mécanisme caractérisé par des institutions polycentriques. Il s’agirait d’une nouvelle plateforme pour une participation plus active de plus de pays africains. Plus important encore, dans le cadre des BRICS, un nouveau système d’échange monétaire international pourrait être mis en place, ce qui pourrait aider à éviter les risques de tomber sous la coupe de la « juridiction » des États-Unis.

«  L’Afrique doit accélérer les réformes socio-économiques, en premier lieu pour pour créer de nouveaux emplois pour les 29 millions d’Africains qui atteindront l’âge de travailler chaque année d’ici à 2030. Il est essentiel que de nouveaux emplois soient créés pour les jeunes Africains et les femmes de tout le continent : environ 42 % des jeunes employés, des jeunes actifs africains vivent avec moins de 1,90 dollar US par jour (en parité de pouvoir d’achat) et seulement 12 % des femmes aptes au travail en Afrique sont rémunérées pour leur travail.

«  Le deuxième domaine, non moins important, de coopération avec d’autres États est la sécurité alimentaire. Pour nourrir 1,3 milliard de personnes, il est nécessaire d’augmenter le volume de production alimentaire. Le passage à une agriculture intensive nécessitera de nouvelles méthodes, machines et équipements, engrais, lutte chimique contre les ravageurs et préservation des cultures.

« L’alignement croissant de la Chine, de la Russie et de l’Afrique dans les organisations internationales peut avoir un impact sur la création d’un monde multipolaire, car ces trois parties sont soumises à la pression de l’Occident. « Au cours des dix prochaines années, on s’attend à ce que l’Afrique change davantage qu’au cours du siècle dernier.

«  Pour combler cet écart, la Banque africaine de développement estime que les besoins en infrastructures de l’Afrique se situent entre 130 et 170 milliards de dollars US par an. La Russie et la Chine peuvent jouer un rôle essentiel dans le développement et le maintien d’infrastructures résilientes et durables. « Cependant la meilleure solution serait un réseau continental uniforme basé sur [les] centrales nucléaires. La combinaison de la technologie des centrales nucléaires chinoises et russes et la technologie chinoise de transmission de l’électricité par ultra-volt pourrait contribuer à créer une « Afrique verte ». « Les États-Unis s’inquiètent de leur développement industriel, car ils ont perdu confiance en leurs avantages en matière de science et de technologie. Ils craignent tout défi de la part des puissances montantes. Par conséquent, les États-Unis ont commencé à contester la mondialisation. Les institutions internationales existantes sont désormais dépourvues d’engagements absolus. Le système international établi après la Seconde Guerre mondiale fait également face à des défis et des crises sans précédent. De nombreux pays sont contraints de choisir un camp dans les systèmes politiques, industriels et technologiques sous la pression des États-Unis. Le monde traverse une crise de démondialisation. La brume de « nouvelle guerre froide » va amener une incertitude sans précédent sur le monde. Le monde est à la croisée des chemins (…).

« Dans cette période de grande transformation, la coopération sino-russe est la force essentielle pour maintenir la stabilité du système mondial.

« La coopération et le développement sont la responsabilité internationale des deux parties. La Chine et la Russie n’ont jamais colonisé l’Afrique. Au contraire, elles ont beaucoup aidé les pays africains à se débarrasser de la domination coloniale, durant la période de libération nationale et pour parvenir à un développement national indépendant.

« Le développement de l’Afrique détermine les tendances du système politique international. La coopération globale entre la Chine, la Russie et l’Afrique est le stabilisateur le plus important pour empêcher l’effondrement du système politique international.

1 Rapport complet en anglais Russia-China-Africa-Report66en.pdf

2 Conférence en anglais ici : Conference: For the Common Good of All People, Not Rules Benefiting the Few! | The Schiller Institute et disponible en français sur le site www.institutschiller.org

Ma vidéo sur le sujet ( ABONNEZ-VOUS à ma page Youtube ) :

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