Vous avez dit Républiques bananières ?

Par Sébastien Périmony et NGOM PRISO Siegfried Hervé, le 8 mars 2021

LE CAS DU CAMEROUN… ET DE LA FRANCE

Dans cet article, nous allons évoquer un véritable scandale en cours depuis fort longtemps, touchant à l’exploitation de la banane au Cameroun. Sur le banc des accusés, outre des institutionnels et des politiques camerounais : la multinationale française Plantations du Haut Penja (PHP), ainsi que l’Union européenne. En cause notamment : l’exploitation des travailleurs, l’empoisonnement par les pesticides, l’expropriation des terres, l’inceste politique et économique, le désastre écologique.

Nous avons décidé de couvrir ces faits suite à une sollicitation de M. Ngom Priso Siegfried Hervé. M. Ngom Priso est petit-fils d’un roi du Cameroun ayant laissé un énorme patrimoine foncier dans la zone fertile du Moungo/Sanaga Maritime. Il nous précise que son père était le cadet de Sa Majesté André Marie Ngom Priso Lea Mbassi, qui vécut de 1890 à 1965. Et que son oncle, Emmanuel Richard Priso Ngom Priso Old King, frère aîné de son père, joua un rôle unificateur en réunissant, lors du cinquantenaire du règne de Sa Majesté en 2015 (1), les peuples Bankon et Barombi dans le sud-ouest du pays, ainsi que Abo sur le littoral, séparés il y a plus de 200 ans par la barbarie colonisatrice. Nous passerons prochainement la plume à M. Ngom Priso Siegfried Hervé lui-même, via notre site www.afriquedufutur. com, afin qu’il nous livre d’avantage de précisions sur la situation actuelle et son combat sur place. Cet article a d’ailleurs été co-rédigé avec lui.

Qui possède les plantations de banane du Penja ?

C’est la PHP (Plantations du Haut Penja), détenue à 60 % par la Compagnie Fruitière. Cette dernière, une entreprise familiale fondée en 1938 à Marseille, est, selon son site internet, « leader en Europe et premier producteur de fruits de la zone Afrique-Caraïbe-Pacifique (…). Elle produit, transporte, fait mûrir et met en marché plus de 900 000 tonnes de fruits et légumes, dont 750 000 tonnes de bananes en Europe et dans le monde entier. » Elle emploie plus de 17 000 personnes en Afrique.

Les 40 % restants sont détenus par Dole, ainsi que par quelques actionnaires privés camerounais. Dole est une compagnie américaine, qui opère dans plus de 90 pays. Ses revenus annuels s’élèvent à plus de 4 milliards de dollars. Elle s’est notamment fait connaître en 2009, via le documentaire Bananas de Fredrik Gerrten (2), qui a dénoncé les manoeuvres géopolitiques et criminelles de la compagnie – notamment au Nicaragua – et contre lequel elle a perdu un procès en diffamation.(3)

Bien qu’elles soient très loin de faire la Une des médias, les pratiques de PHP au Cameroun ont elles aussi déjà été dénoncées. Cameroun Big Banana, tout d’abord, est un documentaire réalisé en 2011 par le réalisateur camerounais Franck Bieleu (4). Y est notamment exposée la « maltraitance » imposée aux travailleurs camerounais sur les plantations. Ainsi, non seulement le salaire mensuel y est plus qu’indigne – 23 000 francs CFA par mois en moyenne, soit 35 euros (donc environ 8 euros de moins que le salaire minimum légal, déjà lui-même extrêmement bas) – , mais certains employés cumulent jusqu’à 14 heures de travail par jour. Pire : des personnes ayant refusé de céder leurs terres ont carrément été emprisonnées !

Le sale rôle de l’Union européenne

Comme nous l’a précisé M. Ngom Priso Siegfried Hervé, la multinationale française PHP bénéficie, pour ses plantations de banane au Cameroun, de subventions européennes ! Voici encore les « grandes démocraties » européennes, si promptes à donner des leçons au monde entier sur l’écologie et la « bonne gouvernance », prises la main dans le sac à sponsoriser l’exploitation de la main d’oeuvre et la destruction des sols !

En 2008, un article du journal Le Monde (5) rendait compte de l’absurdité de cette situation : « A l’entrée de chaque allée des plantations se détachent des petites pancartes. Elles sont frappées du drapeau étoilé de l’Union européenne. Les sociétés bananières, notamment celles opérant à Njombe Penja, perçoivent en effet des subventions au titre de l’ »appui à la filière banane », dont le Cameroun exporte 300 000 tonnes par an. Entre 2001 et 2005, 24 millions d’euros leur ont ainsi été versés « dans le cadre de la politique de développement économique et de lutte contre la pauvreté »précise-t-on à la représentation de l’Union européenne à Yaoundé. »

Si le journal couvrit ce scandale à l’époque, c’est que des manifestations avaient éclaté chez les travailleurs, à bout de nerfs : « Nous voulons que les Français nous paient bien. Nous sommes chez nous après tout, nous ne sommes pas des esclaves ! » s’exclamait l’un d’eux. Et Le Monde de préciser : « A quelques kilomètres de là, la société bananière PHP, filiale de la Compagnie fruitière (détenue à 37 % par le géant américain Dole), la plus importante et la plus redoutée de la région, les Brasseries du Cameroun et l’usine d’eau minérale Tangui, toutes à direction française, ont subi un sort comparable. Leurs cadres et leurs familles, une vingtaine au total, ont été évacués par avion vers Douala, le deuxième jour des violences. »

Un autre article, cette fois du journal Libération (6), nous apprenait en 2009 que « PHP compte (…) parmi ses cadres un député du parti au pouvoir, et loue des terres appartenant notamment à des hauts gradés de l’armée. Plusieurs sources affirment que le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, est actionnaire de la compagnie, ce que dément son directeur général, Armel François. Des employés de PHP sont en tout cas souvent envoyés en mission dans les plantations d’ananas de Biya, inaugurées en 2000 en présence du président de la Compagnie fruitière, Robert Fabre. PHP est membre de l’Association de la banane camerounaise, un lobby dirigé par un autre député du parti au pouvoir, beau-frère du ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana. Lequel n’est rien moins que le président du conseil d’administration de PHP ».

Lorsqu’il était ministre, Luc Magloire Mbarga Atangana a lui-même négocié avec l’UE… le fameux Accord de partenariat économique (APE), paraphé en janvier par le Cameroun ! « Jugé catastrophique pour l’économie camerounaise, poursuit Libération, [tant] par les ONG [que] par le patronat, cet accord de libre-échange avantage en premier lieu les… producteurs de bananes du Cameroun. »

Pour mieux comprendre l’histoire de la politique européenne et tout particulièrement française au Cameroun, nous invitons nos lecteurs à se procurer l’excellent ouvrage La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique (7), co-écrit par Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, ainsi que Au Cameroun de Paul Biya de Fanny Pigeaud (8).

Expropriation des terres

Mentionnons par ailleurs le reportage de la journaliste française Élise Lucet, paru en 2015 et intitulé : Les récoltes de la honte (9). Elle y évoque, entre autres cas, celui d’un Camerounais qui se bat pour récupérer le patrimoine foncier de son père, dans le cadre « des parcelles agricoles que la PHP exploite toujours aujourd’hui » : « Il est écrit ici que mon père a acheté ces terres le 31 mai 1972 ». Lorsque son père décède, lui et ses frères décident de comprendre pourquoi ils reçoivent un loyer dérisoire pour 75 hectares de terres : « Quand nous avons vu les sommes, nous avons décidé de creuser et de regarder le bail qui avait été signé. Et c’est là que l’on s’est rendu compte que le bail n’a même pas été signé par mon père, mais par un représentant de l’État [le préfet de la région]. La famille n’a jamais eu aucune explication, ni du gouvernement, ni de la PHP » !

Le drame des pesticides

Enfin, en lointain écho au scandale du chlordécone aux Antilles, la PHP n’hésite pas à appliquer au Penja des produits reconnus comme dangereux, avec la complicité silencieuse du gouvernement camerounais :

  • chlornil 720 (retiré du marché français en 2010, du fait de ses propriétés cancérigènes) ;
  • dithane (produit irritant les voies respiratoires et retiré du marché français en 2007) ;
  • manzate 75 (produit irritant les voies respiratoires et polluant les cours d’eau, retiré du marché français en 2007) ;
  • siganex (produit retiré du commerce en France en 2000, ses effets toxiques étant encore mal définis).

Ces pesticides ont des effets dévastateurs sur les populations pauvres, tant les travailleurs que les riverains. Ainsi, plusieurs habitants des villes de Njombé et de Penja souffrent non seulement de graves maladies pulmonaires, mais aussi de cécité. Certains, devenus inaptes au travail, sont désormais sans ressources. Certes il est nécessaire, en toute circonstance, de bien étudier les faits pour établir des relations de causalité. Mais dans ce cas précis, les interdictions en France de ces produits et leur déversement massif par avion depuis le ciel du Penja, sont des raisons suffisantes pour exiger des enquêtes.

Comme le dit Ngom Priso Siegfried Hervé : « Qui pis est, les populations de Njombé et Penja sont laissées pour compte. Il est un fait que la commune ne tire aucune prébende des richesses procurées par la banane. »

1- Voir cette vidéo de feu Sa Majesté Priso Ngom Priso: https://www.youtube.com/watch?v=9W0KAOh4g6k
2- Bande-annonce du documentaire en anglais : https://www.youtube.com/watch?v=3VYPQ6jJKWY
3- Information de Wikipedia.
4- Bande-annonce du documentaire en français : https://www.youtube.com/watch?v=IIaauxIfsOA&t=4s
5- Article « Coup de torchon à la bananeraie » : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/06/09/cameroun-coup-de-torchon-a-la-bananeraie_1055701_3212.html
6- « Au Cameroun, une exploitation de banane au goût amer » : https://www.liberation.fr/terre/2009/05/18/au-cameroun-une-exploitation-de-bananes-au-gout-amer_558516
7- La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique: https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_guerre_du_Cameroun-9782707192141.html
8- Au Cameroun de Paul Biya : https://www.amazon.fr/cameroun-Paul-Biya-Fanny-Pigeaud/dp/2811105263
9- Les récoltes de la honte : https://www.dailymotion.com/video/x3jftrb Voir notamment l’extrait, à partir de 1h19.

A propos SebPerimony

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *