Conférence sur les Nouvelles Routes de la soie à Yamoussoukro : faisons renaître le rêve d’Houphouët-Boigny
Samedi 15 juin 2019, au siège de la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire), s’est tenue une conférence sur les « Nouvelles Routes de la soie » à laquelle j’ai pu participer.
Vidéo la conférence :
Cette conférence organisée par l’Association pour la sauvegarde et la promotion de la Pensée d’El Hadj-Boubacar Gamby Sakho (ASPP-BGS), en partenariat avec la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix, a réuni environ 400 jeunes élèves et étudiants majoritairement de l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny de Yamoussoukro.
Les objectifs visés étaient les suivants :
- améliorer la connaissance et la visibilité de la Chine en Côte d’Ivoire ;
- présenter l’exemple du développement chinois en soulignant tout particulièrement le rôle capital joué par la « Nouvelle Route de la soie » ;
- jeter les bases d’un partenariat bilatéral entre la Côte d’Ivoire et la Chine, d’une coopération entre industriels, chercheurs, etc., chinois et ivoiriens ;
- relever l’impact de la culture dans le développement harmonieux de la Côte d’Ivoire.
- faire de Yamoussokro, grâce à l’Institut National Polytechnique Felix Houphpouet-Boigny, la capitale scientifique de l’Afrique de l’Ouest dans les domaines suivants : infrastructures, technologie de l’information et des télécommunications (5G, Big data, intelligence artificielle), robotique, éducation au spatial.
- faire de Yamoussokro une « smart-city » (ville intelligente) ;
- développer à partir de Yamoussokro des zones économiques spéciales et des parcs industriels à l’image de l’Éthiopie ou du Kenya. Le maître de cérémonie, Dr Joseph Kobi, a introduit, à 9h48 min., la conférence par deux citations dont l’une du Président Félix Houphouët-Boigny, exhortant à intégrer la culture dans la dynamique du développement.
Nouvelles Routes de la soie, culture et paix
La série d’allocutions a débuté avec celle du Pr Jean-Noël Loucou, Secrétaire général de la Fondation, qui a accueilli la conférence. Il a témoigné du plaisir pour son institution à accueillir une telle rencontre ainsi que de telles personnalités. Il a souligné que celles-ci s’inscrivent dans les objectifs de la Fondation FHB. Il n’a pas manqué de saluer l’association ASPP-BGS, en relevant les qualités de celui dont elle porte le nom ; l’Institut Confucius, qui contribue à faire connaître la langue et la culture chinoises, ainsi que ses éminents conférenciers. Il a également félicité les élèves et étudiants pour leur présence massive et les a exhorté à tirer un grand profit de la conférence. Pour montrer l’ancienneté des relations entre la Chine et l’Afrique, il a relaté l’histoire de la Cité interdite, inaugurée en 421. Il a terminé son propos en encourageant à profiter des opportunités offertes par les « Nouvelles Routes de la soie » pour bâtir un monde nouveau de dialogue, de solidarité et de paix.
Quant à Monsieur Fofana Boubacar, président de l’Association ASPP-BGS, il a remercié les personnalités présentes puis toute l’assistance avant d’indiquer les valeurs qu’incarne celui dont l’association porte le nom. Le patriarche El Hadj Boubacar Gamby Sakho a œuvré pour le rapprochement entre les hommes, les cultures et les civilisations, surtout par le biais de l’éducation. D’où la raison de son association d’initier une telle rencontre.
La série d’allocutions a pris fin avec celle de M. Liu Yunsheng, directeur de l’Institut Confucius, et dont l’intervention a porté sur le thème : « L’équité est une pensée de développement durable pour l’objectif de vivre ensemble ». A travers la projection d’une série d’images, l’intervenant a défini l’équité comme étant l’équilibre, le juste milieu. Ce principe qui oriente la pensée chinoise aux niveaux politique, économique et culturel se justifie par sa capacité à favoriser le respect mutuel, la coopération gagnant-gagnant, la paix et le développement durable. Concernant les Routes de la soie, il a souligné qu’il s’agit d’un programme de financement axé sur la coopération gagnant-gagnant. Il a mis fin à son propos par une citation de Nelson Mandela : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ».
Stratégies de développement
Deux conférences ont été prononcées sur les thèmes suivants : « Présentation des Nouvelles Routes de la soie : opportunités pour l’Afrique, cas de la Côte d’Ivoire » et « l’Afrique et les nouvelles routes de la soie : approche culturelle et stratégique ». Elles ont eu pour modérateur le Pr Bamba, enseignant-chercheur en histoire à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (Côte d’Ivoire).
La première conférence a été donnée par M. Sébastien Périmony de l’Institut Schiller. L’intervenant a d’abord présenté le but du projet qui consiste à mettre fin à des siècles de conflits, de guerre, de colonialisme. Il s’agit de mettre fin à une conception de l’économie à l’avantage du plus fort pour passer à « un monde de développement mutuel, de co-développement et de dialogue des cultures ».
Ensuite, il a décrit l’histoire du projet des Nouvelles Routes de la soie. En effet, l’idée d’interconnecter le monde entier par des grands projets d’infrastructures était déjà discutée depuis 1890, avec la proposition de connecter le chemin de fer transcontinental américain au réseau de chemins de fer en Europe. Sans toutefois omettre le Transsaharien et une Boucle ferroviaire faisant le tour de l’Afrique.
En 1975, M. Larouche proposa la création d’une Banque internationale de développement qui serait entièrement dédiée au développement industriel et infrastructurel. En 1980, il proposera un plan complet pour l’industrialisation du continent africain.
Prenant appui sur les concepts économiques qu’a développé M. Larouche, l’intervenant a énoncé trois principes d’économie : le potentiel de densité démographique relative, le leapfrog et le flux de densité énergétique.
Abordant la question des Nouvelles Routes de la soie, Sébastien Périmony a précisé que ce projet a commencé à prendre forme suite à l’annonce en septembre 2013, par le président Xi Jinping, au Kazakhstan, du lancement de l’initiative « Une ceinture, Une route ». Projet basé sur l’idée d’une « communauté d’avenir partagé de l’humanité ».
Concernant le cas particulier de l’Afrique, l’animateur a précisé la volonté de l’Union africaine de relier, d’ici 2063, toutes les capitales africaines en vue d’une coopération avec le reste du monde. À ce titre, plusieurs projets ont été énumérés :
– le Transaqua qui consiste à revitaliser le Lac Tchad ;
– le Transsahélien, un projet ferroviaire qui ira de la Mauritanie au Tchad en passant par le Mali et le Niger ;
– le projet Lumumba 2050 visant la modernisation de la République Démocratique du Congo ;
– le Grand Barrage d’Inga en RDC et l’interconnexion des grands lacs africains ;
– la Grande Muraille verte, projet de reforestation de 12 pays africains pour stopper l’extension du Sahara ;
– l’aménagement du système Figuibine au Mali : un projet d’irrigation visant la mise en place d’une agriculture moderne ;
– la modernisation ferroviaire au Nigeria : deux lignes d’environ 1400 km chacune sont en cours. Cela pourrait contribuer à la réduction du terrorisme.
En ce qui concerne tout particulièrement la Côte d’Ivoire, il a insisté sur la réalisation de la Boucle ferroviaire en Afrique de l’Ouest, connue sous le nom d’Africarail. Projet qui serait la première étape importante pour l’industrialisation du pays. Cette boucle ferroviaire, qui partirait d’Abidjan, passerait par Yamoussoukro, puis irait vers le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Togo, permettant de renforcer la position centrale de Yamoussoukro, comme capitale scientifique de l’Afrique de l’Ouest. Rappelons que l’Institut National Polytechnique, qui est unique dans la région, accueille déjà quelques élèves des autres pays voisins. Cette boucle ferroviaire sera la partie centrale du projet plus large de Transsahélien et placerait donc la Côte d’Ivoire comme un centre inévitable dans le cadre du développement de la sous-région.
La seconde conférence a été prononcée par M. Pierre Fayard, Professeur émérite à l’université de Poitiers. L’intervenant a développé le thème « l’Afrique et les Nouvelles Routes de la soie : approche culturelle et stratégique » autour de de la culture, de l’économie et de la stratégie de conquête.
Le conférencier a d’abord souligné que la culture est à la base de la stratégie avant de décrire les caractéristiques de la vision du monde des Chinois, pour qui la seule constante dans le réel réside dans le changement permanent et l’interdépendance globale des phénomènes entre eux. Cela se traduit dans la dynamique des deux principes complémentaires qui s’engendrent mutuellement : le Yin et le Yang. Tout phénomène est un mixte de cette dynamique relationnelle.
Il insista ensuite sur l’importance en Chine d’un développement autocentré, centripète, qui renforce stratégiquement le centre, soit l’État chinois. L’Empire du Milieu entretient une relation particulière avec l’altérité. Dans son histoire, l’autre est considéré comme le barbare (Mongols, Mandchous, Japonais, Européens, Américains) envahisseurs lorsque le centre de l’empire s’affaiblit. L’expansion chinoise va à l’encontre de cette vulnérabilité en repoussant ses zones de sécurité.
Suite à cette description de la culture chinoise, l’intervenant a présenté le principe stratégique de la recherche systématique de l’efficacité à moindre coût. Comment obtenir beaucoup avec peu, ou avec les moyens de parties-prenantes dont la stratégie est instrumentalisée ? Ce principe chinois d’économie, ou d’optimisation des ressources évite la confrontation au profit de la ruse. Pour ce faire, la connaissance de soi et de ses adversaires, partenaires ou concurrents est essentielle. Cette connaissance, beaucoup plus importante que les armes, permet de savoir comment coïncider avec des courants porteurs, comment se positionner pour tirer profit du potentiel des situations.
Abordant l’art de la guerre, le conférencier souligne l’importance de l’adaptabilité et de la flexibilité en rapport avec les caractéristiques de l’eau. Les matrices culturelles des jeux de go (jeu de l’encerclement) et des échecs met en exergue les différences dans la conception et l’exécution de stratégies inspirés par celles-ci. L’objectif du jeu chinois consiste à se constituer des territoires exclusifs, dit « en vie », cernés et défendus par des lignes de communications. La progression aux échec privilégie la conquête du centre pour neutraliser le roi adverse quand celle du jeu de go avance lentement avec souplesse dans une logique à dominante plus stratégique que tactique.
Le conférencier a ensuite interpellé l’auditoire ivoirien sur les qualités et caractéristiques du jeu des semailles, l’awélé, fondé sur un art du calcul rapide, du rythme, de l’échange et de la circulation qui se nourrit dans le camp adverse. Une différence de stratégie évidente entre le joueur d’awélé (semailles & récoltes) et le joueur de go (encerclement de long terme).
Nouvelles Routes de la soie et autodétermination des peuples
Les échanges qui ont suivi ont permis de recueillir les préoccupations des participants. Elles sont relatives aux modalités de remboursement des dettes qu’engendreraient les Nouvelles Routes de la soie ; le souci de passer à un probable néocolonialisme ; la participation des États africains à la détermination des projets de construction d’infrastructures ; les moyens pour l’Afrique de réaliser l’intégration culturelle chinoise ; l’adhésion de la totalité des pays africains au projet des Nouvelles Routes de la soie ; la problématique de l’équité et de l’égalité dans la coopération sino-africaine.
La réponse à ces préoccupations a révélé qu’il s’agit d’une proposition faite aux pays africains. Ce projet ne connaîtra le jour en Afrique sans l’adhésion des Africains. Il s’agira bien d’une coopération gagnant-gagnant.
Cette conférence a pris fin à 13 h15 min. par la visite d’une exposition dans le hall de la Fondation, après le mot de remerciement du secrétaire général de la Fondation Félix Houphouët-Boigny, qui a réitéré son ambition de relancer le projet des séries de conférences à la Fondation Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro.
Les rapporteurs.